Le festival Actoral à Marseille est, depuis sa création en 2001, un lieu d’interactions entre les écritures contemporaines dans tous les domaines. Son fondateur Hubert Colas et le parrain de l’édition 2015 Jérôme Game ont la parole.
Auteur, metteur en scène, scénographe, directeur de Montévidéo à Marseille et fondateur du festival Actoral, Hubert Colas évoque avec l’écrivain et poète sonore Jérôme Game, parrain de cette quinzième édition, la spécificité d’une manifestation dédiée aux écritures contemporaines et aux expérimentations testées sur le plateau par des artistes d’horizons variés : auteurs, metteurs en scène, poètes, performeurs, vidéastes, musiciens, chorégraphes…
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Comment est né Actoral ?
Hubert Colas – Actoral est né de l’histoire de Montévidéo à Marseille où, depuis 2001, j’ai installé ma compagnie et invité nombre d’artistes en résidence. J’ai conçu ce lieu pour les écritures contemporaines, dans tous les domaines artistiques : roman, poésie, poésie sonore… On a commencé Actoral en invitant les auteurs et metteurs en scène qui étaient venus en résidence pour proposer des lectures, des performances. Christophe Fiat, qui sera cette année aux côtés de Yan Duyvendak dans Sound of Music, était là pour la première édition. Jérôme Game est venu très vite aussi. Je n’oubliais pas le théâtre, mais c’était surtout un travail avec des auteurs autour de l’écriture contemporaine. Le mot “Actoral” est né d’une pratique. J’ai fait des ateliers d’écriture en Bolivie, et qu’il s’agisse d’écrire ou de jouer, les Boliviens qualifiaient ma pratique d’“acte oral”. C’est vrai que l’oralité irrigue l’ensemble du festival.
Quel est pour vous le signe distinctif du festival Actoral ?
Jérôme Game – Actoral permet de faire un travail de croisement où la littérature peut sortir du livre et rencontrer des pratiques extralittéraires. Au meilleur sens du terme, Actoral est un instrument de travail ou, plus précisément, une continuation du travail par d’autres moyens et un endroit où on peut rencontrer des artistes. C’est comme si le festival était une sorte de résidence de création, un endroit de monstration et de production qui permet d’être en contact actif avec d’autres pratiques. Ce festival a été très important pour les écrivains qui continuent la littérature par d’autres moyens, au sens large, avec des interactions entre le corps, l’image, le son. Je viens y apprendre mon métier d’écrivain avec un metteur en scène, un chorégraphe, un vidéaste ou un plasticien. J’apprends à écrire en voyant comment la syntaxe qu’ils développent implémente ce que j’ai à dire. Le plateau est à Actoral une métonymie de ce qui arrive à la littérature en opérant des croisements entre les instruments employés. Apprendre à écrire en regardant un film, c’est apprendre à redisposer les outils strictement linguistiques de la littérature en les branchant sur le monde, les corps, les machines. En fait, Actoral est comme une table de montage.
Hubert Colas – Le fait que la pratique de l’art en mouvement caractérise Actoral est lié au fait que je suis auteur et metteur en scène. Penser que l’objet n’est jamais fini, mais toujours en cours, crée une dynamique pour les artistes invités. C’est un acte vivant qui opère aussi avec les rencontres qui se produisent entre artistes. Cela fait partie du maillage de la programmation et cela se travaille également avec l’architecture des lieux où se déploie le festival, que ce soit à Montévidéo, au MuCEM, au Gymnase, aux Bernardines, à la Friche la Belle de Mai, dans des galeries ou des librairies. La comédie musicale de Yan Duyvendak est présentée au Théâtre du Gymnase – un ancien music-hall – et aura, de ce fait, une résonance particulière. Ce mouvement-là, de l’ordre de l’invisible, est très important.
Jérôme Game, quels projets présentez-vous à Actoral ?
Jérôme Game – Le premier est une lecture qui aura lieu au MuCEM, où est également programmé le vidéaste César Vayssié. Je l’ai appelée A travers. Ce sera un parcours qui traversera quinze années d’écriture dans mes livres en les agençant. Le deuxième, Slide Show, est conçu dans le cadre du vernissage de l’exposition Prétexte #2 à la Friche la Belle de Mai. Je fais une lecture-performance qui travaille la photographie et montre comment j’essaie d’écrire comme on voit. Comment un texte en prose peut produire l’effet de quelqu’un qui regarde une image. C’est, là aussi, que je présente le troisième projet, HongKong Reset avec Chloé, une musicienne électronique. Ce sera une pièce sonore qui oscillera entre un concert electro et une performance de poésie.
Hubert, comment as-tu conçu cette quinzième édition qui brasse large, entre les spectacles, le cinéma, la musique, le focus sur la Suisse, les découvertes et les rencontres inédites, l’exposition Prétexte #2 et le cycle de rencontres “L’Objet des mots” ?
Hubert Colas – Le dénominateur commun, c’est que ça parle de l’écriture dans tous les domaines artistiques. Ce qui m’intéresse quand j’invite quelqu’un comme Vincent Thomasset, c’est qu’on a affaire à la fois à une écriture littéraire et à une écriture de plateau. Il est passé par le théâtre, la danse, la performance et il est emblématique d’une génération d’artistes qui se retrouve à Actoral. C’est aussi un phénomène lié à ce qui se passe dans la société, à l’impact des médias et des outils avec lesquels on travaille qui produisent un effet tentaculaire, un prisme très diversifié. Par le biais d’un ordinateur, tu peux être plasticien, musicien, vidéaste, et ce qu’on met sur scène dans Actoral est le résultat de l’être physique que l’on est dans le monde. En outre, tout objet scénique, littéraire ou plastique, représente ce qu’il n’a pas inscrit : il y a un espace physique de continuité de ce que l’on ne voit pas ou n’entend pas et qui révèle l’acte de poésie par excellence. La première fois que j’ai entendu la poésie de Jérôme Game, j’ai été frappé par son écriture de gommage. Il y avait un effacement de la parole, une scansion rythmique très particulière. Tous les artistes invités à Actoral ont ce mouvement-là à l’intérieur de leurs œuvres. Le travail de Sophie Perez et Xavier Boussiron est emblématique de cette transversalité. Ils inscrivent sur le plateau quelque chose qui n’existe pas dans le regard et que nous ressentons. Cet éclatement des formes est produit par des artistes en avance, que la plupart du temps on ne comprend pas et que l’on ne diffuse pas.
Dans les rencontres mises en place entre artistes à travers L’Objet des mots ou Prétexte #2, il s’agit moins de transversalité que d’un mouvement vers une autre pratique ?
Jérôme Game – Est-ce une transversalité, une interdisciplinarité, une multidisciplinarité ou une migration, un exode d’un champ à l’autre ? C’est une des questions que pose Actoral. Ce qui m’intéresse, c’est de séjourner véritablement dans “l’entre”, de vivre un aller-retour très intense. Je suis écrivain, je ne suis pas cinéaste ou photographe ou metteur en scène, mais en travaillant avec d’autres artistes, je fais un voyage d’études et je demeure écrivain dans cet entre-deux. Et les débords que je vais faire à cette occasion vont me permettre d’écrire d’une autre façon.
Hubert Colas – En tant qu’auteur et metteur en scène, j’ai toujours eu cet appétit, cette nécessité de ne jamais m’arrêter au spectacle vivant. Mon premier projet, dans les années 80, était en fait une exposition, Artisanat furieux. C’était un texte que j’avais écrit et que je voulais monter. Mais je n’avais pas de moyens, alors j’ai demandé à des artistes-peintres, sonorisateurs, photographes de travailler avec moi à une présentation, une bande-annonce du projet. On a fabriqué une sorte de fanzine qu’on a exposé aux Journées des jeunes créateurs au Centre Pompidou. Le festival Actoral est né de cette façon d’envisager un paysage sonore, ludique et visuel en inventant un espace multiple où les résonances se font en fonction de chaque artiste qui y participe.
A travers, lecture de Jérôme Game, le 25 septembre à 19 h 30 au MuCEM
Slide Show, lecture de Jérôme Game,le 29 septembre à 19 h 30 à la Friche la Belle de Mai
HongKong Reset, musique de Chloé, texte et voix de Jérôme Game, le 9 octobre à 19 h 30 à la Friche la Belle de Mai
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