Organisée par la galerie expérimentale américaine TRANSFER, l’exposition réunit plusieurs générations d’artistes et d’hacktivistes pour envisager un fonctionnement plus inclusif, pour l’art et par la technologie.
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Les musées sont-ils solubles dans l’Ether ? En première lecture, l’intitulé pourrait sembler vaguement romantique. Il le devient tout de suite moins si l’on prête plus attention au second terme. Alors, les espaces célestes révérés par les poètes et poétesses d’antan se déchirent, et c’est un type de cryptomonnaie qui en choit.
L’Ether (ETH) est l’une des principales monnaies, semblable au Bitcoin, utilisées pour l’achat et la vente des NFT, ces “jetons non fongibles” qui font en ce moment les gros titres.
Tout bouge, rien ne bouge
Par la technologie blockchain permettant de rendre unique, et donc monnayable, tout objet, digital ou non, dès lors transformé en bien de collection, une nouvelle manne s’ouvre. La possibilité existe depuis 2007, mais ne parvient aux oreilles du grand public qu’à la mi-mars de l’année en cours. Depuis, chaque semaine, le feuilleton s’épaissit, se densifie, se complexifie.
Au point que les plus grands musées ont à leur tour été forcés de prendre position. Quand les uns tentent de les intégrer à leurs murs, à l’instar du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, qui annonçait, le 26 mars dernier, prévoir pour l’an prochain une exposition digitale consacrée à l’art NFT, les autres se rebiffent. Comme, par exemple, le Rijksmuseum (Amsterdam), l’Art Institute of Chicago et le Cleveland Museum of Art, qui réagissaient, il y a quelques semaines, contre l’incursion dans leurs collections de la compagnie Global Art Museum.
Le 10 mars dernier, celle-ci dévoilait, en effet, un ensemble de fichiers digitaux mis en vente au format NFT, basés sur des chefs-d’œuvre, et promettait de partager une partie des revenus avec les musées. Ceux-ci y ont vu une attaque de l’accès numérique et gratuit pour tous·tes aux œuvres, via les licences Creative Commons, au profit de quelques spéculateur·trices.
Jusqu’à présent, les lignes bougent peu. La “disruption” est opposée à la protection, et l’angle générationnel brandi comme ligne de front. Les questions structurelles du monde de l’art, elles, n’émergent pas encore : ni la critique du marché ni celle du travail, pas plus que ces autres, plus thématiques, de l’écologie ou de l’identité.
L’une des rares initiatives à s’en être jusqu’ici saisies émane de la galerie TRANSFER. Fondée en 2013 par Kelani Nichole et Wade Wallerstein, respectivement curatrice et anthropologiste digital, elle est dotée d’un espace en dur, d’abord à Brooklyn, maintenant à Los Angeles, et accompagne depuis sa fondation les cultures numériques – à ses débuts notamment, celles qui s’avancèrent sous le nom de post-internet.
“Façonner un ensemble de valeurs culturelles réparateur”
Lancée le 1er avril, Pieces of Me est une exposition collective virtuelle organisée par TRANSFER en partenariat avec left gallery, une plateforme fondée et gérée par des artistes et dédiée à la production et à la vente d’“objets téléchargeables”. Réunissant une cinquantaine de noms, la proposition entend offrir un aperçu “du passé, du présent et du futur de l’‘art digital’”, à travers des œuvres qui “questionnent et subvertissent les biais implicites des logiciels et des systèmes qui régissent notre quotidien”.
Sous la forme d’images, de GIF ou de vidéos, que l’on approche individuellement ou via une lounge video, les œuvres incarnent des totems, phylactères ou talismans, déployés comme autant de possibles rituels de désidentification destinés à parer le “vide contextuel ouvert par cette ère dystopique d’hyper-médiatisation”. Parmi les artistes, on repère des figures des premières années post-internet (Marisa Olson ; Harm van den Dorpel), des figures plus jeunes (Molly Soda ; Claudia Maté ; Kumbirai Makumbe), mais aussi des pionnier·ières de l’hacktivisme (E. Jane ; Zach Blas) ou des chercheur·euses (Morehshin Allahyari).
A lire aussi : Les NFT vont-ils bousculer durablement l’ordre établi du monde de l’art ?
Or si nous avons tous·tes, estime Wade Wallerstein, curateur de l’exposition, d’ores et déjà confié certaines parties de nous aux réseaux numériques, la nouvelle donne pourrait précisément permettre de “façonner un ensemble de valeurs culturelles réparateur, historiquement plus solide et guidé avec davantage de considération”. L’un des principaux intérêts réside bien, en ce qui concerne plus spécifiquement la question des NFT, dans le déploiement matériel de la proposition.
S’il s’agit d’une exposition de NFT au sens où toutes les œuvres sont potentiellement achetables par ce biais, elles le sont en tant qu’“offrandes”. C’est-à-dire que leur achat, en Ether ou monnaie fiat, n’est pas ici soumis à la mise aux enchères – c’est pour l’instant principalement le cas pour les formats NFT –, mais proposé à prix fixe, sans possibilité de revente. Surtout, sur chaque vente, l’artiste touche 70 %, et les 30 % restants sont redistribués à l’ensemble des acteur·trices de l’exposition : les autres artistes, l’équipe de la galerie mais également les travailleur·euses du savoir (curateur·trice, écrivain·e) ou ceux·celles de la technologie.
Un autre problème inhérent aux NFT est également abordé de front : l’exposition se propose de pallier leur impact écologique délétère en offrant, comme autre option d’achat, de rembourser l’intégralité des frais énergétiques engagés. Si la solubilité des musées dans l’Ether reste avant tout un risque avéré face au manque d’argent public et au mécénat douteux, elle n’en rouvre pas moins le débat quant à la construction d’un système de production et de diffusion plus horizontal. Lorsque de plus petites structures, à l’instar de la galerie TRANSFER, l’expérimentent et l’ancrent dans une histoire élargie et un réseau inclusif d’acteur·trices, la mise en crise technologiquement accélérée des structures du monde de l’art tend à étendre également le débat à l’urgence de les réformer, avec ou sans NFT.
Pieces of Me. NFT Exhibition, galerie TRANSFER, En ligne sur piecesofme.online
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