L’artiste israélienne franchit les passages qui mènent de l’envers à l’endroit, et vice versa. Vertigineux.
C’est à un territoire aux frontières friables que vous vous retrouverez confronté lorsque vous franchirez le seuil de la salle d’exposition des Laboratoires d’Aubervilliers. Invasive et abrasive, une grande flaque de goudron mate (en fait, un enduit d’argile noir qui imprime le moindre accident) est venue redessiner, au sol, la carte de ce white cube pas vraiment immaculé. Relégué hors de ce périmètre impénétrable, le spectateur est invité à faire le tour, prudemment, de ce paysage miniature qui évoque immanquablement la biographie de l’artiste Yael Davids, aujourd’hui installée à Amsterdam mais qui a grandi dans le kibboutz Tzuba, sorti de terre en 1948 en lieu et place d’un village palestinien.
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Si l’on mentionne cette donnée personnelle, c’est que l’artiste israélienne, formée à la danse et à la sculpture, ne rechigne pas à distiller des indices autobiographiques dans ses performances et installations. Comme ce clin d’œil adressé à sa mère, critique de danse, l’hiver dernier à la Ferme du Buisson dans le cadre du Yvonne Rainer Project. Ou ici cet usage du verre, sous la forme de plaques triangulaires venues perforer l’étendue sombre, mais aussi d’une collection de pichets et autres récipients chinés dans la réserve Emmaüs d’Aubervilliers et remisés dans un cabinet des merveilles ouvert aux quatre vents, qui rappelle la fabrication de verre antichoc du kibboutz de son enfance. Du verre par définition fragile mais qui avait pour particularité de résister aux impacts de grenades et roquettes.
Entre chorégraphie et gymnastique mentale
L’exposition, joliment intitulée La Distance entre V et W (deux lettres qui se suivent dans l’alphabet mais aussi deux initiales qui évoquent pour l’artiste les deux Simone, Veil et Weil), pose justement cette question du paradoxe, ou plutôt du cheminement qui mène d’un lieu à un autre, de l’envers à l’endroit. L’installation est descendue au sol – quand Yael Davids pratiquait jusqu’alors une forme de verticalité – et statique – quand l’artiste proposait jusqu’ici une activation de ses paysages. Elle invite pourtant le visiteur à une forme de chorégraphie (il faut en faire le tour pour en saisir la perspective) aussi bien qu’à une gymnastique mentale qui permet d’appréhender les points de bascule d’une œuvre qui évoque le minimalisme plat de Carl Andre autant que le fétichisme d’objets et d’histoires anonymes, une œuvre qui se nourrit de la petite comme de la grande histoire.
La Distance entre V et W jusqu’au 16 mai aux Laboratoires d’Aubervilliers, leslaboratoires.org
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