Déployée entre Paris et Sèvres, une exposition fait découvrir les usages de la céramique dans l’art moderne.
“Le caractère de la céramique grès est le sentiment du grand feu”, écrivait Gauguin. Le caractère du grès émaillé en revanche serait plutôt l’eau, ou l’humide. D’un côté, la création primitive, la venue à l’être de la cruche comme aurait dit Heidegger. De l’autre, le kitsch comestible puisque l’idée de céramique, chez l’amateur d’art, évoque souvent les avalanches de serpents, asperges et autres trompe-l’œil de faïence luisante dans les vitrines des musées d’arts décoratifs.
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L’exposition Ceramix, déployée entre la Maison Rouge à Paris et la Cité de la céramique de Sèvres, tente de faire le point sur l’usage de cette technique – parfois décriée – aux XXe et XXIe siècles, et présente des centaines d’œuvres peu vues, de Rodin à Thomas Schütte. On muse ainsi entre les jardinières de Raoul Dufy (1927) et les théâtres absurdes d’Alessandro Pessoli (2010) ou bien d’une salle sur l’Otis Group de Los Angeles (1954) à une autre sur les artistes Sodeïsha de Kyoto (1948) qui se rebellent tous contre le fonctionnalisme, les premiers en transformant des poteries en sculptures abstraites, les seconds en inventant le vase sans ouverture.
La difficulté ontologique de la céramique, entre art et artisanat, présence et représentation, ou, comme le Golem, entre vérité et mort, brouille cependant un brin le parcours – même si Rodin a apporté une réponse précoce à cette ambivalence à travers de cocasses “assemblages” de sculptures et de poteries trouvées.
Un arrangement minimal et musical
Mai-Thu Perret ouvre l’expo de la Maison Rouge avec One Sword One Piece (2008), qui “glace” un objet domestique associé au travail féminin en sculpture pop, et l’on trouve à Sèvres un arrangement minimal et musical de vingt-six récipients en porcelaine dans sept vitrines en bois (The First Day and the First Hour, 2013) de l’artiste et théoricien Edmund De Waal, mais ce qui frappe d’abord à Ceramix, c’est l’abondance d’usages parodiques, comme si le kitsch émaillé ne pouvait être transmué que par l’exagération.
Détournement de vaisselle en trompe-l’œil, par exemple, avec Picasso qui s’amuse à placer un couteau immangeable à côté des traditionnels poissons (Plat rectangulaire aux sardines, 1947-1948), ou détournement gore par Marlène Mocquet (Œufs au plat fleuris, 2013) dans lequel le plat devient œuf, et marécage infernal où s’englue un chien.
Dégueulis de matériau
Comme le travail de la terre est souvent associé à l’excrément et au boudin phallique, on trouve des dégueulis de matériau, tel ce bouquet souillé d’Anne Wenzel – Attempted Decadence (Blossoms, Large, Blood Red), 2013 –, des gerbes de vagins et pénis faussement niaiseux par Elmar Trenkwalder ou Johan Creten, et plus largement des grotesques, comme ceux du funk art californien des années 1970, qui sont aussi un peu tragiques : Current Event (1973) de Robert Arneson, à la fois “événement courant” et “dans le courant”, hésite entre la représentation d’une nage et d’une noyade.
A l’opposé de ces humeurs, les sculptures récentes de Miquel Barceló sont attentives au geste et à l’espace qu’elles dessinent : on en trouve une illustration humoristique dans Bruce-Lee (2011), un pot cassé sur une brique fendue en deux. Ceramix permet aussi de découvrir de belles pièces abstraites de Catherine Lee (Little Wishes, 1995) ou le travail conceptuel de la Serbe Ljubica Jocic-Knezevic : motifs spaghettis en porcelaine dans des cadres de bois dorés (Analysis and Implementation of the Global Game Plan, 2012) que décrit ainsi l’artiste : “Une contrepartie aux écrans plats modernes et aux panneaux publicitaires.”
Ceramix – De Rodin à Schütte jusqu’au 12 juin, Cité de la céramique, Sèvres, sevresciteceramique.fr, et jusqu’au 5 juin, La Maison Rouge, Paris XIIe, lamaisonrouge.org
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