Douze jeunes artistes, en résidence à la Fondation Fiminco à Romainville, exposent des œuvres qui traduisent leur rapport aux lieux où ils vivent et travaillent.
Dans Lieux, son livre posthume publié en 2022 au Seuil, l’auteur Georges Perec décrivait des rues, des places, des carrefours liés à des souvenirs, à des moments importants de son existence. Au-delà du jeu avec le temps et de la conviction que le livre est davantage la restitution de l’instant qui s’écoule que celle du passé, Perec faisait du lieu le foyer vital de l’écriture. S’immerger, observer, consigner, se souvenir : la littérature procède de l’expérience d’une traversée d’un espace, d’une espèce d’espace. L’invitation de la commissaire Élodie Royer aux artistes en résidence à la Fondation Fiminco à Romainville active cette même attraction pour la question des effets d’un environnement urbain sur la création plastique, sinon sur la vie elle-même.
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L’exposition qui en résulte, La Logique des lieux, déploie une multitude de façons d’explorer ce qui unit un·e artiste à son milieu de vie, aux espaces où il ou elle habite et travaille, mais aussi aux lieux qui hantent sa mémoire sensible et affective. Les douze artistes – Pooya Abbasian, Younès Ben Slimane, Célia Boulesteix, Mollie Burke, Sarah-Anaïs Desbenoit, Darius Dolatyari-Dolatdoust, Nicolas Faubert, Quỳnh Lâm, Sophia Mainka, Gohar Martirosyan, Pascale Rémita et Liv Schulman – accueilli·es en résidence au sein de cette ancienne friche industrielle de Romainville, venu·es d’horizons différents, ont ainsi joué le jeu d’une exploration introspective dans le miroir de leur existence. Créer, c’est d’abord s’inscrire dans un lieu, dans la mémoire d’un lieu.
Les espaces au service de l’art
Puisant dans l’esprit des endroits qu’ils et elles fréquentent les sources de leurs gestes créatifs, les artistes dessinent ici un paysage mouvant, flottant dans l’immensité de l’espace de la fondation où, d’images en sculptures, d’installations en vidéos, le langage du souvenir affleure autant que la marque d’un attachement à des espaces inspirants et aspirants. Tous·tes témoignent avec plus ou moins d’audace de la capacité des lieux à libérer des récits et des formes. “Ce que cette exposition espère partager avec le public, c’est la manière dont les architectures qui nous entourent ne sont aucunement passives, mais tout autant les personnages de nos vies, actifs et participatifs de nos mouvements, de notre histoire personnelle et collective, comme de nos affects”, explique Élodie Royer. “Au-delà de leurs étendues horizontales, ce sont aussi dans leurs profondeurs verticales et leurs structures invisibles que résident leur mémoire, les gestes et les flux qui les ont modelées ; en somme, le sens des lieux et ce qui nous y attache, au passé comme au futur”, ajoute-t-elle. À cette logique des lieux – qui n’est pas forcément rationnelle et transparente, mais parfois opaque et impénétrable – s’ajustent les formes artistiques hantées, rêvées, fragmentées.
La logique du lieu est souvent déterminée par sa configuration : Younès Ben Slimane, à travers la vidéo et l’installation, crée un dialogue entre arts visuels et architecture. Le lieu nourrit aussi l’imaginaire : Célia Boulesteix propose une installation qui figure un paysage poétique où se mêlent le réel, la fiction et le fantasme, voire la science-fiction lorsque surgissent des bêtes curieuses. Intéressée par les mécanismes d’apparition et de disparition des images et leurs influences sur la mémoire, Sarah-Anaïs Desbenoit propose aussi un environnement fictionnel : une série de miniatures associées à des fragments sonores et visuels qu’elle a récoltés sur le territoire de Romainville. Darius Dolatyari-Dolatdoust, performeur, chorégraphe et designer intéressé par le textile, expose des patchworks qui évoquent autant ses origines iraniennes que les hybridations identitaires de l’époque. La logique du lieu se loge aussi dans la mémoire, comme le suggère l’artiste vietnamienne Quỳnh Lâm qui, à partir d’archives et d’artefacts, explore le lien entre Romainville et Saigon, en menant des recherches sur ces deux villes et leur histoire industrielle. Beaucoup d’artistes, à l’image de la peintre et vidéaste Pascale Rémita, ou de la sculptrice Mollie Burke, prélèvent et combinent différentes strates d’interprétation d’une matière mémorielle au cœur de leurs pièces. Et jouent aussi avec tout ce qui résiste à la question de l’espace matériel, en explorant des territoires enfouis de la psyché, comme s’y emploie Liv Schulman avec son installation autour de l’antipsychiatrie, dans un travail au long cours qu’elle exposera en octobre prochain à la galerie Anne Barrault. Ou même des territoires intérieurs secrets, ouvrant à d’autres perceptions du mouvement et de l’espace, à l’image de Nicolas Faubert, danseur et performeur plein de vitalité, bien que touché par un lourd handicap visuel. En bref, s’il est souvent question d’architecture dans l’exposition, ces jeunes artistes en résidence jouent surtout avec des textures disparates, dans lesquelles se dévoile de manière littérale ou oblique un rapport au lieu. Le lieu de leur logique artistique.
La logique des lieux, exposition des artistes en résidence 2023-2024, jusqu’au 23 juin
Fondation Fiminco – 43, rue de la Commune de Paris 93230 Romainville. Du mardi au samedi, de 14 heures à 18 heures. Entrée libre et gratuite.
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