Paysage immersif baigné d’une brume colorée, l’exposition Permafrost. Les Formes du désastre, à Montpellier, aborde le bouleversement climatique par le changement plutôt que par la crise, préférant aux tropes éprouvés une séduction troublante.
Il y a deux manières d’appréhender le bouleversement climatique. L’une consiste à s’engouffrer goulûment dans la crise pour jouir sans plus attendre de l’inéluctable à venir. La traduction visuelle est facile, et presque rassurante, puisque ces tropes-là, les représentations de l’apocalypse, on les connaît déjà. Un exemple, un seul : le dernier défilé automne/hiver Balenciaga, tenu dans une Cité du cinéma à Saint-Denis sinistre, plongée dans l’obscurité, le sol et les premiers rangs inondés, le ciel digital zébré d’éclairs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’autre manière, elle, préfère à la crise le changement. Le bouleversement climatique est l’un des signes visibles, et quantifiables, de mutations plus profondes, davantage à venir qu’advenues, souhaitables et urgentes. Plus difficile alors d’aller puiser dans l’histoire, de rechercher des signes, des insignes, pour traduire ceci : une désorientation totale, l’exigence de repartir de zéro. Il faut alors inventer l’ambiguïté, l’hybridation, la confusion, le mélange. Pas de représentations sur lesquelles s’appuyer, mais des esquisses d’univers alternatifs, de vivants en devenir, de germinations fécondes.
Un brouillard coloré qui enveloppe tout
En termes visuels, cela se traduit, au Mo.Co. Panacée, par un éclairage changeant venu baigner toute l’exposition. Avant même de percevoir les œuvres individuellement, on expérimente ceci : plutôt que de s’offrir clairement à l’appréhension dans l’espace blanc et sans ombres de la pleine rationalité, les formes nous parviennent à travers un brouillard coloré qui enveloppe tout, parcourant le spectre visible en passant par toutes les nuances contenues entre le bleu polaire et le rouge martien. Permafrost. Les Formes du désastre, le nom de l’exposition, rassemble onze artistes et une trentaine d’œuvres.
La tonalité d’ensemble, cependant, fait moins appel à l’animal politique en nous qu’à l’animal tout court, et plutôt au vivant
Une partie d’entre eux·elles étaient déjà présent·es lors de la 16e Biennale d’Istanbul, dont le commissariat était assuré par Nicolas Bourriaud, directeur du Mo.Co. – entité artistique qui rassemble à Montpellier la Panacée, l’Hôtel des collections et l’école des beaux-arts. A partir de ce premier volet explorant l’impact du capital sur la planète, le second rebond confié à Vincent Honoré, arrivé l’an passé à la tête des programmes et des expositions, aborde la mutation par le prisme de l’organique. Certes, l’urgence concrète ponctue le parcours, en rappel et en écho à Istanbul (le traitement des déchets d’Eloise Hawser, les espèces décimées d’Ozan Atalan), mais la tonalité d’ensemble, cependant, fait moins appel à l’animal politique en nous qu’à l’animal tout court, et plutôt au vivant, au sens le plus large possible.
Expérience sensuelle
Au sein de ce panorama iridescent, les organes poussent hors sol comme autant d’entités autonomes (Pakui Hardware), on cultive des cerveaux comme des céleris-raves (Rochelle Goldberg), les aquariums ne contiennent guère plus qu’une tempête de sable (Dora Budor), les éviers couleur chair rampent au sol comme des insectes-plugs (Nina Beier), tandis que des membranes bleuâtres et translucides sont autant de mues de créatures inconnues (Laure Vigna). Ces néovivants, ces organes-céleris-plugs-mues ne ressemblent à rien de connu. Ils ne sont ni inquiétants ni attirants, juste autres, présents, obtus, étranges chacun à leur manière.
Chaque participation devient plutôt l’occasion d’approfondir un monde en soi, celui qu’imagine chaque artiste
Onze artistes, c’est d’ailleurs trop peu pour parler véritablement de scène ou décliner des ensembles thématiques. Chaque participation devient plutôt l’occasion d’approfondir un monde en soi, celui qu’imagine chaque artiste, par l’entremise de salles monographiques et d’installations composées de plusieurs éléments. Reste, comme note d’ensemble, une flânerie charnelle au sein d’un paysage contaminé, et une expérience sensuelle qui serait la véritable spécificité, et le marqueur d’époque, de cette proposition.
Pouvoir de l’imagination
La plupart des œuvres auraient en effet pu être présentées il y a quelques années, alors qu’il était encore de mise de célébrer l’invention humaine au sein d’expositions techno-utopistes. Entre les années post-internet et les années post-apocalyptique, la transition apparaît ici fluide, presque indiscernable, si ce n’est au niveau de la forme même de l’exposition.
Les nouvelles préoccupations apparues au tournant, l’inquiétude qui colle à la peau face au bouleversement, se traduisent par le grand retour du pouvoir heuristique de l’imagination et de la fabulation. Là où la littérature annonce le règne de la climate fiction, c’est-à-dire des récits de science-fiction sur fond de mutations climatiques, l’art semble quant à lui prêt à embrasser les grands panoramas sensoriels et les paysages immersifs vaporeux.
Permafrost. Les Formes du désastre, jusqu’au 3 mai, Mo.Co. Panacée, Montpellier
{"type":"Banniere-Basse"}