Des pionnières (souvent des femmes) des années 1970 aux artistes émergent·es d’aujourd’hui, la déclinaison française d’une grande exposition internationale et interactive sur les jeux vidéo rassemble des créations, auxquelles on peut jouer, qui sont autant de manières de penser.
Dans son bureau de la Serpentine Gallery de Londres, il a installé une console de jeux. Dorénavant, un jour par semaine, il joue. Que l’on ne s’y trompe pas : pour le directeur artistique et commissaire d’exposition Hans Ulrich Obrist, c’est aussi de la recherche. Et plus précisément, une investigation en acte d’un nouveau médium artistique jusqu’ici peu thématisé comme tel : les jeux vidéo.
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Phénomène de masse du XXIe siècle, le secteur réunit plus de trois milliards d’individus et pèse plus lourd que les industries du cinéma et de la musique réunies. Pour les artistes, c’est une autre manière de concevoir l’auteur·rice ou le·la spectateur·rice, la durée ou le lieu de l’œuvre, avec une part belle faite aux notions d’interactivité, de participation ou de décentralisation.
La grande fresque expositionnelle qui résulte de ces recherches prend le nom de Worldbuilding et, forcément, elle est en plusieurs volets, et amenée à muter. Tout a commencé par une invitation de la Julia Stoschek Foundation à Düsseldorf, dédiée à l’image en mouvement, à l’occasion de ses 15 ans : cela donnera l’exposition-matrice. Depuis l’été, le Centre Pompidou-Metz en accueille une version contextualisée à partir de l’accueil de jeunes artistes du territoire français – dont Sara Sadik, Mimosa Echard, Sara Dibiza ou Caroline Poggi & Jonathan Vinel.
Une scénographie ouverte
Au troisième étage, cela pourrait, au premier abord, ressembler à n’importe quel autre panorama d’œuvres vidéos. À peine plus acidulé dans les tons, tout juste plus cyberfuturiste dans les graphismes. Et encore, le spectre historique, se rend-on vite compte, est trop vaste pour être restreint à une quelconque esthétique : ici se trouvent réunis les pixels anguleux des pionnières, dès les années 1970 (Rebecca Allen, Peggy Ahwesh, Jodi), les narrations élégiaques des 90’s (le projet collectif Ann Lee, via Dominique Gonzalez-Foerster, Pierre Huyghe, M/M (Paris) et Philippe Parreno), les jeux s’autogénérant par l’intelligence artificielle et la réalité virtuelle (Ian Cheng ou Jakob Kudsk Steensen).
Il n’empêche, cette esquisse typologique se ressent peu dans un parcours qui parie sur une scénographie ouverte, sans imposer de sens de circulation. À ce stade, il faut revenir à ce terme de worldbuilding, qui permet de passer outre la donne finalement vite poussive, paradoxalement passéiste, nostalgique même, qui manque rarement de venir entacher les projets pariant sur le digital en tant que médium plutôt que système de pensée. Worldbuilding donc, pour “construction de mondes”.
Chaque œuvre est une certaine manière de percevoir, de se mouvoir, de ressentir, d’agir.
On oublie rapidement le médium dès lors que la plupart des œuvres présentées sont interactives, exigeant que le ou la visiteur·se fasse tout pareil que le curateur en son bureau : jouer. Chaque œuvre est une certaine manière de percevoir, de se mouvoir, de ressentir, d’agir : la part sociopolitique n’est pas absente. Celle-ci n’opère pas uniquement par les appels explicites au changement ou à la responsabilité (l’un des exemples les plus réussis : She Keeps Me Damn Alive (2021) de Danielle Brathwaite-Shirley, dont l’objectif est de protéger des personnes noires transgenres sans que rien n’indique clairement qui est à épargner ou à dégommer). Plus largement, chaque monde possible vaut par la polyphonie qu’il compose avec les autres : se prêter à autant de règles du jeu différentes, c’est invalider les schémas de pensée unique.
Worldbuilding – Jeux vidéo et art à l’ère digitale, jusqu’au 15 janvier, Centre Pompidou-Metz.
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