Avec “Depois do silêncio (Après le silence)”, la metteuse en scène mêle avec brio théâtre et cinéma pour relayer les colères d’une communauté paysanne de l’Aqua Negra.
Présentée en avant-première au Festival de Marseille, la dernière création de la Christiane Jatahy réaffirme son désir de concevoir l’écriture pour la scène comme un dialogue entre le théâtre et le cinéma. Honorée en janvier dernier dans la section théâtre de la Biennale de Venise du prestigieux Lion d’or pour l’ensemble de son œuvre, la Brésilienne propose, avec Depois do silêncio (Après le silence), de revenir sur l’histoire du mouvement des sans-terre, qui milite au Brésil pour une répartition des parcelles entre les grands propriétaires et celles et ceux qui les cultivent.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le spectacle réunit des références à la littérature et au cinéma. Il s’inspire de l’œuvre du géographe et auteur bahianais Itamar Vieira Junior à travers son roman Torto Arado, qui s’attache aux destinées de deux sœurs vivant dans la région de l’Aqua Negra. Elles deviennent les représentantes des revendications de la population noire issue de l’esclavage, sans occulter leur croyance aux esprits héritée de leurs ancêtres. À ce matériau représentatif d’une fiction documentée, Christiane Jatahy ajoute des extraits d’un film documentaire multiprimé, Cabra Marcado para Morrer (1984) d’Eduardo Coutinho, où le réalisateur revient sur l’assassinat ordonné en 1962 par les grands propriétaires terriens du chef de la ligue paysanne, Joao Pedro Teixeira.
Un dispositif minimal regroupe un vaste écran posé au sol et deux longues tables où s’installent un musicien, Gal Pereira, et trois actrices, Lian Gaia, Juliana França et Aduni Guedes. Christiane Jatahy a été filmer les paysages et la vie des habitant·es d’une bourgade de l’Aqua Negra, et ses images transforment le spectacle en véritable immersion dans le quotidien du village et ses cérémonies rituelles.
Déritière de Jean Rouch
Parmi les représentantes de la communauté paysanne, on reconnaît les protagonistes présent·es sur scène. Ainsi se noue une histoire entre le présent de la représentation et les images tournées au Brésil. Ces allers et retours de l’écran à la scène nous projettent alors dans la pleine nature ou nous ramènent au propos de l’action se déroulant sur le plateau. L’occasion pour l’une des actrices de reproduire devant nous une cérémonie de possession où elle accueille en elle et dans une transe des esprits nommés les encantados et les orishas. En mettant en avant la culture et les croyances de celle et ceux qu’elle défend, Christiane Jatahy fait figure de digne héritière de Jean Rouch, qui avait initié en son temps et dans ses films cette posture de respect face à l’autre pour en faire éthique.
Festival de Marseille jusqu’au 9 juillet.
Depois do silêncio (Après le silence) conception, texte et mise en scène Christiane Jatahy, en portugais surtitré en français. Les 20 et 21 octobre, De Singel, Anvers (Belgique). En tournée européenne jusqu’en mai 2023.
{"type":"Banniere-Basse"}