L’auteur, metteur en scène et scénographe Hubert Colas crée un réjouissant Désordre pour son festival marseillais Actoral, qui célèbre avec entrain la diversité des écritures contemporaines.
C’est le dernier week-end du mois d’août. A Marseille, les escaliers et les allées à ciel ouvert de la Friche la Belle de Mai, lieu de création et d’innovation unique en son genre, sont balayés par un vent frais. Un certain calme règne. C’est le temps d’avant, celui des répétitions, qui précède l’afflux des publics. L’auteur, metteur en scène et scénographe Hubert Colas crée un nouveau spectacle. Aujourd’hui, devant une poignée de spectateurs amis, son équipe et lui vont montrer un premier bout-à-bout, un premier filage.
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Un moment très particulier dans la vie d’une création : l’objet éclot, embarrassé encore de toutes les maladresses et questionnements nécessaires à son élaboration et pourtant, révèle déjà les frémissements, encore timides, des ravissements et bonheurs à venir lors des représentations. Car il restera encore quelques jours de travail à Hubert Colas avant la première de Désordre le 28 septembre dans le cadre d’Actoral, festival international des arts et des écritures contemporaines de Marseille, inventé et dirigé par le metteur en scène.
Haïkus et fabulettes
Un horizon pour fond de scène, une mélodie douce et espiègle et un être assis dans un fauteuil. La première image de Désordre est empreinte de calme et de sérénité tandis que s’ouvre le rideau sur une boîte à musique qui, telle celle de Pandore, aurait moult mots à déverser. La promesse est à la hauteur de la parole vibrante, vibrionnante, malicieuse et délicieuse d’Hubert Colas qui, une heure trente durant, jaillira de tous les recoins du plateau, semant un désordre joyeux dans une représentation théâtrale mais aussi sociétale que sous forme de haïkus et fabulettes Hubert Colas croque avec une idiotie éclairante.
Le spectacle débute par une pichenette télévisée, un acteur – Thierry Raynaud – enfermé dans un écran et dans une loge, surplombant l’espace de jeu où ses camarades pourront évoluer en toute liberté. Il assène en préambule et sous forme d’injonction beckettienne : “Je vais commencer par ne pas parler. Je me tais. JE ne parle pas. JE se tais. JE regarde – Un point c’est tout. JE regarde bien. Mais je ne vois rien qui vaille. JE se tue. JE ne vois pas ce qui vaudrait la peine d’arpenter quoi que ce soit. Un intérêt ? Aucun. Rien.” Et ainsi de suite, à l’instar et à l’avenant des absurdités et autres incongruités réjouissantes de l’auteur.
C’est une contre-allée, un chemin de traverse, qui se dessine sur scène, une autre voie où l’imaginaire peut en toute liberté se livrer à d’étonnantes divagations et circonvolutions joyeuses sur le monde tel qu’il est. On ne dira jamais assez, quand même, le bonheur de la littérature. On ne dira jamais assez non plus le bonheur de voir des acteurs, en osmose parfaite avec une langue jouant véritablement des émotions comme l’on joue à la marelle, devant parfois, soit à cloche-pied, soit en faisant de grands écarts, sauter d’un mot à l’autre pour atteindre la fin de la phrase.
Bonheur enfantin et vivacités des sens
Et il y a des morceaux de bravoure dans le texte aux multiples entrées d’Hubert Colas. Ainsi, Manuel Vallade révélant les secrets attraits de son intérieur, Isabelle Mouchard et ses envolées dyslexiques, les “sœurs” Claire Delaporte et Vilma Pitrinaite dont les bêtises fleurent bon la lointaine Russie, mais qui savent d’un “on” salvateur désigner l’ignominie. Et il y a aussi Mathieu Poulain, alias Oh ! Tiger Mountain, surnommé le mutant de la pop marseillaise, qui, d’un chapelet de chiffres, crée un via crucis de maux.
La vision absurde, onirique et kaléidoscopique d’un monde en désordre que donne à voir Hubert Colas dans cette nouvelle création est à plusieurs titres extrêmement réjouissante. Pour le bonheur presque enfantin qu’elle procure. Pour les vivacités des sens qu’elle agite. Et pour la fête à laquelle elle nous convie : celle de la pensée.
Désordre d’Hubert Colas, du 28 au 30 septembre à la Friche la Belle de Mai, Marseille, dans le cadre du festival Actoral
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