On retrouve enfin Isabelle Huppert, formidablement entourée, dans ce rôle de mère abandonnée par le sort et qui lutte pied à pied pour vivre à la hauteur de ses souvenirs et prendre soin de sa famille.
Rappel des faits. La création de La Ménagerie de verre de Tennessee Williams dans la mise en scène d’Ivo van Hove avait démarré depuis quelques jours en mars 2020 quand le confinement dû au covid y mit brutalement terme. Comme si la faille temporelle se refermait sans bruit, le spectacle a repris dès l’ouverture du théâtre de l’Odéon. Enfin, presque. Il a fallu attendre que les négociations entre les occupants du théâtre et le directeur Stéphane Braunschweig aboutissent au retrait de l’occupation. C’est aujourd’hui au Centquatre que “les intermittents du spectacle, artistes et techniciens, extras de l’hôtellerie et guides conférenciers“ continuent leur combat et elles·ils nous accueillaient, le jour de la première le 25 mai, avec un prospectus expliquant le sens de leur démarche.
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Dans la salle, réduite à une jauge à 35 %, tout pouvait reprendre là, exactement, où les choses s’étaient arrêtées 14 mois plus tôt. A une exception près, le rôle du narrateur interprété à l’origine par Nahuel Pérez est joué aujourd’hui par Antoine Reinartz (tous deux acteurs de 120 battements par minute). Il se coule dans son personnage avec une aisance remarquable et introduit le spectacle avec un tour de magie, rideau baissé, qui cadre le récit qui va suivre dans cet espace bigarré de la mémoire où coexistent avec fluidité des éléments hétérogènes que la raison ou le réel réprouvent ordinairement. “Je suis le contraire d’un magicien professionnel. Lui sait donner à l’illusion une apparence de vérité. Moi, je vous présente la vérité sous la plaisante apparence de l’illusion.“
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Un casting exceptionnel
Alors le plateau apparaît, les murs bruns peints à grands coups de pinceau d’où surgissent çà et là le portrait du père, disparu un beau jour, laissant sa femme Amanda (Isabelle Huppert), s’occuper de leurs enfants, Tom (Antoine Reinartz) et Laura (Justine Bachelet), que son infirmité a conduit à préférer l’espace imaginaire de sa ménagerie de verre à celui, aux arêtes dures et tranchantes, du réel.
Aux antipodes de la vision habituelle d’une femme manipulant sa progéniture pour mieux se laisser bercer par ses souvenirs, la lecture d’Ivo van Hove et l’interprétation stupéfiante d’Isabelle Huppert en font une femme fantasque, généreuse, aimant ses enfants, dégainant à chaque coup du sort une énergie indomptée, dealant avec le malheur sans jamais s’avouer vaincue. Autour d’elle, tous sont exceptionnels. La candeur butée de Laura (Justine Bachelet) et le désir fou d’évasion de Tom (Antoine Reinartz), sa frustration contenue, trouvent en Jim, un collègue de Tom invité à dîner avec l’espoir d’enfin marier Laura, un regard lucide, empathique et d’une rare franchise sur la vie telle qu’elle est. Un combat permanent. Une lutte corps à corps où les désirs se cognent aux contraintes, aux défaites, aux trahisons. Sans jamais se résigner à perdre. Sans jamais abandonner la partie.
La Ménagerie de verre, de Tennessee Williams, mise en scène Ivo van Hove. Avec Isabelle Huppert, Justine Bachelet, Cyril Guei, Antoine Reinartz. Odéon-Théâtre de l’Europe, jusqu’au 9 juin.
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