Deux anciens enfants-soldats de RDC et un chorégraphe transcendent leur passé dans un livre et un spectacle déchirants.
Avec sa grand-mère, Djodjo Kazadi chorégraphie le duo Castrations en 2007, début d’un travail sur la mémoire du corps où il retrouve la trace d’une enfance normale mais ballottée au gré des déplacements de son père agronome. Congo My Body en est le prolongement. Le projet naît au CCF de Kinshasa, entre trois amis qui ignorent encore qu’il se réalisera sous le signe de l’exil. Les deux anciens enfants-soldats et le chorégraphe se retrouvent à Paris en 2009, où Djodjo étudie l’histoire de la danse à l’université Paris-VIII, dans le cadre d’une bourse d’études.
Dans « Congo My Body », les absents tiennent une place prépondérante
Aidés par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Serge et Yaoundé obtiennent un statut de réfugié politique. De résidence en résidence, soutenu par La Villette, Congo My Body mûrit. Corps et marionnettes se partagent le même espace et participent d’un même mouvement : qui manipule qui ?
« C’est un voyage vers le passé. Retrouver l’état de corps d’un enfant de 10 ans, ses états d’âme, sa mémoire. 80% du temps de répétition s’est passé à parler pour faire ressortir ce passé », raconte Djodjo.
Les absents y tiennent une place prépondérante : chaque marionnette posée au sol ou portée avec douceur témoigne de tous les kadogos morts au combat.
Bassin roulant et ondulant, la danse est comme intériorisée, une manière de se relier à la circularité de l’histoire congolaise qui, du Congo belge à la RDC en passant par le Zaïre, ne laisse que des morts à pleurer. En voix off, un extrait du récit de Serge, perdu dans la forêt tropicale, son arme pour seule compagnie. Sur le plateau, chants et parades militaires rendent un dernier hommage aux camarades disparus.
L’art peut-il changer la vie ? « C’est une façon de retrouver mon enfance, ma liberté de jouer et de créer », répond Serge en souriant. Il en fait l’expérience avec le sculpteur strasbourgeois Daniel Dépoutot, rencontré à l’Espace Masolo, qui lui apprend à souder et donner forme à la ferraille : « J’ai commencé par sculpter ma vie ; ça m’a donné envie de l’écrire en lingala. » Serge remplit huit cahiers d’écolier pendant trois ans et les traduit en français avec l’aide du scénographe Jean-Christophe Lanquetin qu’il a rencontré au CCF de Kinshasa en 2004 :
« J’avais besoin de fabriquer de fausses kalachnikovs pour le décor de Roberto Zucco, de Koltès, monté par Philippe Boulay, raconte Lanquetin. Serge nous en a immédiatement dessiné une sur le sable puis l’a fabriquée. Elle était d’une précision incroyable dans ses proportions. Serge racontait son histoire en permanence à tout le monde, et la question de l’écrit s’est posée comme ça. Quand je suis revenu l’été suivant, il avait écrit trois cahiers. Au bout de trois étés, il écrivait le matin et on traduisait l’après-midi. »
Enrico Un témoignage inouï et une force d’expression sidérante. Survivant d’une guerre où il apprend aussi que « l’armée, ce n’est que la parole. Dans l’armée, il te faudra savoir poésir à la parole », Serge est conscient qu’au combat, « même si je ne veux pas mourir jeune, je n’ai aucune possibilité de faire le contraire de ma vie en ce moment ».
Quand il sera enfin démobilisé, il lui restera une autre étape à franchir : vivre avec un passé en forme d’énigme. « Mais pourquoi ma vie est passée par ce chemin ? Pourquoi j’ai traversé cet avenir ? Qu’est-ce que je pourrais faire pour changer la vie ou changer l’avenir fait de ce passé ? » La clé se trouve dans son avant-propos : « Je ne pourrais plus voir une arme de ma vie, je n’ai plus les miens, je n’ai plus que l’art comme père et mère, je n’ai plus que ces mots à raconter pour témoigner de ma vie d’enfant de demain, car l’enfance c’est l’avenir, au pays de vivre son enfance. »
Fabienne Arvers
Congo My Body de Djodjo Kazadi, Serge Amisi et Yaoundé Mulamba, du 6 au 9 avril au festival Hautes Tensions de La Villette, Paris XIXe (du 6 au 17 avril) Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain – Carnets d’un enfant de la guerre de Serge Amisi (Vents d’ailleurs), 256 pages, 21 euros