Deux anciens enfants-soldats de RDC et un chorégraphe transcendent leur passé dans un livre et un spectacle déchirants.
Serge Amisi et Yaoundé Mulamba venaient de quitter la République démocratique du Congo (RDC) quand on les a rencontrés, en France, en février 2009. Ils fuyaient la guerre qui leur barrait la route depuis l’automne, l’armée à leurs trousses qui voulait les enrôler à nouveau, et cherchaient à obtenir le statut de réfugié politique. Cette fois, ils étaient décidés à ne plus se laisser faire. Lors de ce rendez-vous, la peur d’être renvoyés chez eux et repris par l’armée était palpable, poignante ; elle n’avait d’égale que leur détermination à construire leur vie d’adulte et d’artiste sur le champ dévasté de leur mémoire d’enfant-soldat. Dans leurs bagages, presque rien à part Congo My Body, projet d’un spectacle imaginé à Kinshasa. Deux ans plus tard, les voici à l’heure de sa création, à Paris, avec le chorégraphe Djodjo Kazadi.
Ils avaient 10 ans quand leur vie a basculé, en 1996. Des soldats rebelles les ont enlevés sur la route pour les transformer en chair à kalachnikov, en première ligne des combats. La pièce, qui mêle danse et marionnettes, confronte leurs souvenirs d’enfants en RDC alors que la guerre fait rage et que les rebelles de Laurent-Désiré Kabila enrôlent des gamins à tour de bras pour faire tomber Mobutu.
« La guerre, c’est de tuer », écrit Serge Amisi dans son livre Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain.
« On dit de nous que nous sommes des enfants de la guerre, des enfants-soldats, des kadogos, mais nous étions des enfants dans la guerre. Je n’ai pas voulu être dans la guerre, on m’a obligé à tenir l’arme, et je n’ai plus eu de parents, je n’ai plus eu de famille, je n’ai eu plus rien d’autre que l’armée, que mon arme, mon arme qu’on m’a dit c’est mon père et ma mère. »
« Un militaire ne raisonne pas. Il obéit et souffre »
Ils se servent très vite de cette arme qui donne la mort et en protège. Comme beaucoup de kadogos, ils sont obligés de tuer leur famille ou ceux qu’on leur désigne. « J’étais devenu un militaire, raconte Yaoundé. Un militaire ne raisonne pas. Il obéit et souffre. Je connaissais déjà le mot souffrir. Je ne savais pas qu’il pouvait avoir tant de visages, plus cruels les uns que les autres. »
D’abord conduits dans divers camps de formation militaire, encadrés par des rebelles rwandais, des Coréens du Nord ou des Congolais, ils sont vite envoyés sur le front et voient tant de morts que ceux-ci se confondent avec leur vie.
« J’en ai marre de mourir égorgé », écrit Serge Amisi à propos d’une attaque où des Ougandais avaient troqué la kalachnikov pour une machette. Cette phrase fulgurante résume tout. C’est dans cette bataille au coeur de la forêt tropicale que les destins de Serge et Yaoundé se croisent.
« La famille m’a jeté (…), j’étais un enfant qui ne sert plus à rien »
Au terme de cinq ans de guerre, leurs vies se nouent définitivement après leur démobilisation en 2001 autour d’un rêve commun : devenir artistes et raconter leur histoire. Envoyés dans un centre de transit et d’orientation, ils doivent apprendre à devenir des civils et suivent diverses formations. Ils écrivent à leurs familles mais, comme pour tant d’autres kadogos, « malgré la démobilisation et le travail du CICR (Comité internationale de la Croix-Rouge – ndlr), moi, Amisi Serge, la famille m’a jeté en disant que je suis un enfant pâté, j’hésite à te dire, ça veut dire un enfant qui ne sert plus à rien. »
La plupart renoncent et retournent à l’armée. Pas eux. Abandonnés par leurs proches, Serge et Yaoundé découvrent le théâtre de marionnettes à l’Espace Masolo, ouvert aux enfants des rues et aux enfants-soldats. Ils montent leur premier spectacle, Les Aventures extraordinaires d’Oulala, où les kadogos ont la parole et le premier rôle. La pièce tourne en Afrique et en Europe.
En 2003, à 17 ans, ils rencontrent Djodjo Kazadi au Centre culturel français (CCF) de Kinshasa. Après cinq années passées dans la compagnie Les Béjart, qui pratique le théâtre de rue ou intervient dans les écoles, prône l’éducation civique et dénonce la situation politique en RDC, Kazadi a découvert la danse contemporaine aux Studios Kabako du chorégraphe Faustin Linyekula. De 2001 à 2007, il est de toutes les créations :
« Je jouais le rôle principal dans Le Village de Bonne Espérance des Béjart. C’était très dur, je n’avais pas confiance en moi. Faustin m’a proposé de participer à la création de son spectacle Spectaculary Empty. En dansant, je devenais une autre personne. Faustin m’a appris comment être moi-même, il a réveillé en moi des choses cachées. Il ne m’a pas seulement transmis la danse mais son concept et m’a très vite donné l’opportunité de créer. »