Marie-Christine Soma signe une adaptation magnifique d’un roman de Tristan Garcia. Sébastien Derrey propose une mise en scène coup de poing d’une œuvre de Debbie Tucker Green. Ces deux très beaux spectacles étaient en filage à la MC93 de Bobigny et devraient être visibles en tournée à l’heure du déconfinement.
Drôle d’ambiance à la MC93 de Bobigny… Un silence de mort règne dans un hall d’entrée claquemuré et désert – reconfinement oblige –, mais, à l’étage, sur les plateaux, metteur·euses en scène, comédien·nes et technicien·nes répètent fiévreusement des spectacles, espérant un jour avoir la possibilité de les jouer devant un public ; deux très beaux spectacles en l’occurrence.
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Dans la salle Christian Bourgois, l’acteur Pierre-François Garel incarne, sous la direction de Marie-Christine Soma, le héros du roman 7 de Tristan Garcia. Dans ce seul en scène, intitulé Le Septième, il joue ce personnage à qui est donnée la possibilité de vivre sept fois sa vie, passant de l’exaltation savante à la perte de sens, de l’obsession amoureuse à l’ennui existentiel, de l’engagement politique à l’autodestruction, damné par la mémoire de ses existences précédentes.
Portée par le souffle romanesque du texte, Marie-Christine Soma a trouvé la tonalité juste pour donner corps à ce conte philosophique. Une question de direction d’acteur.
On sort de là épuisé·es mais ravi·es, avec l’étrange sentiment que ce grand roman de SF a été écrit pour la scène
Avec une infinie délicatesse, Pierre-François Garel narre son histoire pendant plus de deux heures, traverse tous les états émotionnels imaginables et se pose mille questions éthiques, mais sa performance n’est jamais prétentieuse. On sort de là épuisé·es mais ravi·es, avec l’étrange sentiment que ce grand roman de SF a été écrit pour la scène.
L’heure des comptes
Changement de décor. Et de registre. Sur un plateau quasiment nu, six acteur·trices – incroyablement doué·es là aussi – composent une famille imaginée par Debbie Tucker Green, autrice dramatique anglaise d’origine caribéenne, dans Mauvaise, courte pièce d’une petite heure. Les premières minutes sont hérissantes, presque insupportables. Incarnée par la géniale Séphora Pondi, la fille aînée vocifère des insultes à sa mère. Le débit est d’une intensité folle. La violence, inouïe. Le langage, déroutant, bourré de néologismes. Puis, elle s’adresse à chacun des membres du groupe.
Et l’on commence à comprendre, sans que jamais les mots ne soient prononcés : cette jeune femme a été violée par son père, qui est là, lui aussi, sur scène. Tous·tes étaient complices. C’est l’heure des comptes, de la désignation, de la désobéissance et de l’explosion de la famille. La réussite de Sébastien Derrey tient à la mise en scène de cette parole si musicale (le rythme est tonique, fragmenté, mais la tonalité reste lancinante) et si étrangement délicate (le propos louvoie autour du tabou ; tout passe par le non-dit). Nous voilà sonné·es.
A 21 heures, la nuit est tombée depuis bien longtemps à Bobigny. Les artistes rentrent chez eux·elles. On se surprend à croiser les doigts. Pourvu que ces spectacles puissent être vus… comme prévu.
La Septième de Tristan Garcia, par Marie-Christine Soma, avec Pierre-François Garel. Du 13 au 17 janvier, Théâtre du Nord, Tourcoing (59). Du 20 au 22 et du 26 au 28 janvier, TNB, Rennes. Du 3 au 12 février, TNS, Strasbourg. Du 3 au 5 mars, MC2, Grenoble
Mauvaise de Debbie Tucker Green, par Sébastien Derrey, avec Océane Caïraty, Nicole Dogué, Jean-René Lemoine… Du 10 au 14 décembre, T2G, Gennevilliers (92)
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