L’édition 2021 de la manifestation marseillaise s’envisage comme un précipité de l’année zéro qui s’amorce.
La foire Art-O-Rama a toujours, au fil de ses 15 éditions, occupé la place de rituel de rentrée du monde de l’art hexagonal et, de plus en plus, international. Le hiatus de l’an passé voyait l’événement marseillais sommé de répondre à son tour à la crise sanitaire, avec le lancement d’un Salon immatériel, maintenu en ligne en 2021 aussi, en parallèle avec son édition “en dur” dans ses espaces consacrés de la Friche la Belle de Mai à Marseille.
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Un tournant ?
Inaugurant la reprise du calendrier artistique des foires, c’est alors avec une attention d’autant plus aiguisée que chacun·e aura guetté, à l’ouverture d’Art-O-Rama le 27 août, les signes et les symptômes, les lignes de force et de fuite pouvant laisser présager de quelque chose comme un air du temps de l’année zéro qui s’amorce.
C’est heureux car sa configuration s’y prête : tout en réunissant, pour les chiffres, 44 galeries, projets invités et maisons d’édition issues de 11 pays, le format foire, fermant ses portes au terme du week-end, se prolongera sous la forme d’une exposition jusqu’à la mi-septembre. Ainsi, l’exercice de prédiction atmosphérique consistant à scruter – au fil des œuvres d’artistes émergent·es, jeunes, peu montré·es, redécouvert·es – les courants esthétiques sonne ici moins déplacé que lors des habituels raouts marchands. Car il y a bien quelque chose comme une texture Art-O-Rama se superposant à cet autre air du temps où se lit, au fil des éditions, une appétence pour une matériologie stratifiée et transhistorique; allant puiser du côté des alentours de l’histoire de l’art consacrée.
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Renaître de ses cendres
Ainsi de la galerie viennoise Hubert Winter et son installation centrale de deux assises d’une domesticité ancestrale de l’artiste James Lewis présentée en dialogue avec la peintre Nancy Haynes : comme recouvertes d’une peau granuleuse fossilisée, et constellées de verres à liqueur à demi-consommés venant la couvrir de pustules, l’ensemble palpitant faiblement d’une vie organique transie en attente d’un corps absent. Plus loin, la plongée dans les profondeurs caverneuses des origines occultes d’une humanité sommée de renaître de ses cendres se poursuit sur le stand du project-space parisien Goswell Road. Là, le décor est plus explicitement signifié, tout en se refusant de toutes parts à sa capture matérielle. Au centre de l’installation, scandée par des bandes de velours noir absorbant l’éclat des habitudes diurnes, magnifiée par un autel païen d’ossements phalliques tapissant la cimaise, se trouve la pièce sonore issue du projet de musique expérimentale Zero Kama fondé en 1983 par l’artiste pluridisciplinaire Zoe DeWitt.
Réactivé l’an passé, celui-ci procède avec des samples enregistrés à partir d’ossements humains transmués en instruments, laissant sourdre des boucles flûtées aussi apaisantes qu’une remontée en apnée des confins du point ultime de déshumanisation. La texture plus directement accordée à la pulsation de l’hyperprésent se fait jour, quant à elle, par l’entremise de l’œuvre totale et nomade de la jeune Chalisée Naamani, diplômée l’an passé des Beaux-Arts de Paris. Avec sa Maison sac à dos ou Habit(acle), recomposant par collage d’éléments visuels glanés au hasard des images reproduites et réinjectées dans la circulation du scroll infini, du tourisme globalisé et de la vente à la sauvette, sa tente-coquille se gonfle et se boursoufle de l’accessoirisation d’une subjectivité sommée de se définir à son tour par recomposition de fragments d’emblée sociabilisés – permettant à la galerie Ciaccia Levi, qui la présentera aussi en solo dans son espace parisien à la rentrée, de pousser les murs de la foire par une pièce emmenant partout avec elle son propre contexte.
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Il en va également du stand des Parisien·nes Exo Exo conçu par Gaspar Willmann comme la simulation pavillonnaire d’un habitat modulable et en kit, lorgnant moins du côté corbuséen que de son déclassement sériel par une chaîne d’ameublement suédois, où le générique tente à l’infini de faire la mise au point sur un sublime, lui aussi, pré-mâché, pré-cadré, à l’instar d’une fenêtre ouverte sur un écran ou de tableaux accrochant à l’horizon rougeoyant les lambeaux glitchés de déchets putrescibles. À l’horizon, quelque chose renaît, mute, tout en prenant garde de laisser vifs les stigmates d’un passé proche ou lointain, ferments actifs d’une renaissance qui ne saurait faire entièrement table rase.
Art-O-Rama jusqu’au 12 septembre, à la Friche la Belle de Mai à Marseille
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