Daniel Jeanneteau donne à La Ménagerie de verre de Tennessee Williams la grâce d’un spectacle de nô japonais qui soulève délicatement les voiles de la mémoire.
Dans la mémoire, un seul objet ou événement renferme en lui tout un pan de nos vies. C’est ce procédé qu’utilise Tennessee Williams en nommant sa pièce d’inspiration biographique La Ménagerie de verre. Une synecdoque qui agit comme une métaphore éclatante de nos existences et de nos souvenirs, fragiles et précieux comme le verre.
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La pièce se structure autour du récit fait par le narrateur des années après sa fuite du huis clos familial. Tom, le fils de la famille, se poste à l’avant-scène devant un rideau pâle qui voile et laisse entrevoir l’aire de jeu : une estrade duveteuse et blanche, encadrée de pans de tissus clairs, opaques et mouvants. La ménagerie, à l’éclat de verre filé et de givre, y tient aussi une place centrale.
Le motif de l’absence
Le prologue résonne comme un avertissement sur les retouches qu’opère la mémoire sur le tissu des souvenirs, ravivés ou rapiécés : “Je suis le contraire d’un magicien professionnel. Lui sait donner à l’illusion une apparence de vérité. Moi, je vous présente la vérité sous l’apparence plaisante de l’illusion.”
Puis il introduit les fantômes qui hantent sa mémoire : “Je suis le narrateur mais aussi un de ses personnages. Les autres personnages sont ma mère, Amanda, ma sœur, Laura, et un jeune galant.” Il précise qu’il y a aussi un cinquième protagoniste qui n’apparaît qu’en photo : son père, qui les a abandonnés voici longtemps, dont le portrait vivant, filmé, emplit toute la scène le temps de son évocation.
Car l’absence tisse le motif de la pièce. Celle du père, de l’argent, la famille vivant grâce au travail du fils, poète et employé dans un entrepôt de chaussures ; celle du passé où la mère se réfugie. Enfin, celle d’un avenir pour la fille, Laura, infirme, timide, ne vivant que pour sa collection d’animaux de verre coloré et que sa mère tient à marier pour les sauver de la misère.
Le ressac de la mémoire
Un soir, Tom invite son collègue, Jim, que Laura aimait secrètement au lycée et qui lui offre, le temps d’un dîner, l’attention, les encouragements, une danse et un baiser, mais brise aussi sa licorne de verre et la quitte pour aller retrouver sa fiancée.
Daniel Jeanneteau a monté cette pièce en japonais une première fois en 2011 à Shizuoka. Une couche de mémoire supplémentaire qui se lit dans le décor, les costumes et le jeu des acteurs, où le détachement s’accorde aux reflets changeants de l’humeur et de l’espoir, de la défaite et de la perte. Superbement incarné par Dominique Reymond, Solène Arbel, Olivier Werner et Pierric Plathier, ce quatuor s’accorde subtilement au ressac de la mémoire.
La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, mise en scène Daniel Jeanneteau, avec Dominique Reymond, Solène Arbel, Olivier Werner, Pierric Plathier, jusqu’au 28 avril au Théâtre national de la Colline, Paris XXe, colline.fr, du 11 au 13 mai à Bourges, les 18 et 19 à Brest, du 24 au 27 à Reims
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