Célébré pour ses photographies des années 1990, l’artiste français expose également ce printemps trois décennies de tableaux et sculptures. “Le Destin du Minotaure” se découvre jusqu’au 6 juin à Avignon.
Dans les photographies de Georges Tony Stoll, les visages sont le plus souvent masqués. Ce n’est pas qu’ils arborent des masques, car cela serait encore d’autres surfaces de présentation, c’est plutôt qu’ils demeurent obstinément oblitérés, et leur identification, à jamais escamotée.
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Il y a, par exemple, Les Affranchis (1995), où l’on devine deux corps masculins nus, présentés comme en miroir, ceints de deux taches colorées : noire et rouge, les draps jetés sur leurs têtes trouent l’espace, à la manière d’aplats.
Il y a encore Le Minotaure (1997), et cette fois, la silhouette est seule, dressée et vêtue, T-shirt marine et jean délavé, mais à nouveau, notre regard, avide d’en rencontrer un autre, erre, désemparé par la bulle blanche épaisse – en plastique ? – qui tient lieu de tête. Alors, c’est le souci de composition qui prend le dessus et retient l’attention.
L’identification est absurde
À l’intérieur du cadre, la composition est de peinture, presque classique par sa géométrie, faisant mentir l’impression de spontanéité d’un flash venu transir un instant. Or il n’y a pas d’instant décisif, plutôt une longue remontée mémorielle, de celles qui informent tout autant le regard derrière l’obturateur que les corps qui se tiennent devant lui.
Du Minotaure, on remarque le contrapposto, ce léger hanchement, souci de présentation traduisant, à même la posture, l’intériorisation d’un beau cultivé, culturé, spontanément intégré. Car l’identification est absurde, et c’est une autre œuvre qui nous l’apprend par concaténation (Identification Absurde 5099, 2016), issue d’une série plus récente : les tableaux en laine qu’entreprend l’artiste la même année.
Les motifs et les couleurs circulent, débordent leur surface d’inscription, procédant par échos
À la Collection Lambert à Avignon, l’exposition monographique de Georges Tony Stoll rassemble trois décennies de création : photographies, tableaux à l’huile et en laine, mais également sculptures et vidéos. Au fil des salles, se joue dans l’espace l’équivalent de ce qui se trame au sein de chacun de ces moyens d’expression : de l’un à l’autre, les motifs et les couleurs circulent, débordent leur surface d’inscription, procédant par échos pour polliniser les cimaises voisines, tout en plongeant dans le même temps dans une érudition mythologique, ourdie de récits et de transmissions.
Une réflexion d’ensemble
L’accrochage n’est pas chronologique, et l’esprit, mis à part les quelques indices de contemporanéité – bas de jogging Adidas (en photo) ou modélisation du VIH (en bronze) –, empreint de culture méditerranéenne immémoriale. L’exposition – dont le titre, Le Destin du Minotaure, fait écho à la photographie qu’on a pu qualifier d’autoportrait – fait œuvre de désidentification.
L’artiste lui-même déclare fréquemment vouloir arpenter “les territoires de l’abstraction”, contre ou au-delà des lectures chronologiquement déterminées de son travail – la présentation de son corpus sur plusieurs décennies réinscrivant les photographies des années 1990 dans une réflexion d’ensemble.
La remontée mnésique vient de plus loin, elle a les sonorités murmurées des histoires que l’on se raconte
Si l’on dit souvent que le beau, sa composition et ses postures sont toujours intériorisés, Georges Tony Stoll fait sourdre d’autres représentations que celles purement visuelles : la remontée mnésique vient de plus loin, elle a les teintes océaniques de ses tableaux les plus récents (la série des Paris Abysses, depuis 2016) ou les sonorités murmurées des histoires que l’on se raconte. Le Minotaure a un destin : son labyrinthe est peut-être sans issue, mais, pour un·e artiste, remettre à chaque fois son ouvrage sur le métier est le signe d’une quête inépuisable.
Le Destin du Minotaure de Georges Tony Stoll, jusqu’au 6 juin, Collection Lambert – musée d’art contemporain, Avignon.
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