Le centre d’art contemporain fête ses 15 ans avec “BXL UNIVERSEL II : multipli.city”, soulignant toujours le cosmopolitisme du territoire où il évolue. Une invitation à percevoir ces discrètes présences qui participent du vivre-ensemble.
Il nous faudrait, en quelque sorte, réapprendre à voir. Énoncée de la sorte, la tâche s’annonce infinie, et pourtant, sa formulation contextuelle, alors que rouvrent ces lieux du “voir” que sont les institutions artistiques, chacun·e la comprend sans peine. S’il nous faut réapprendre à voir, c’est que nous avons vécu, au cours des derniers mois, aveuglé·es d’une nuée de pixels.
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Privé·es de nos autres sens, ceux qui, ensemble, composent la perception, nous avons voulu tout voir, et trop voir. Et maintenant, à remettre timidement le pied dans nos institutions, cette autre perception-là, ce “voir” qui n’est pas uniquement visuel mais se compose d’un faisceau de sensations entremêlées, nous nous en sommes désaccoutumé·es. Or, dans les espaces de la CENTRALE à Bruxelles, délestés de leurs habituelles cimaises pour s’avancer comme une agora ouverte, il y a bien moins à voir qu’à percevoir.
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Histoires et trajectoires
Cela ne tient pas, en vérité, à un effet de contexte mais plutôt à un esprit des lieux : l’exposition BXL UNIVERSEL II : multipli.city marque un temps propre à l’institution. Célébrant le quinzième anniversaire du centre d’art contemporain, il s’agit du deuxième volet d’un triptyque initié en 2016 et prévu pour se prolonger en 2026. Chacune de ces expositions, dont l’actuelle rassemble onze artistes et six associations partenaires, explore successivement l’un des aspects qui font de Bruxelles, plus qu’une ville, un territoire : l’entrecroisement en un même espace-temps d’histoires et de trajectoires, de subjectivités et de collectivités.
Cet espace multiple, l’exposition le décline à travers un ensemble de récits sensoriels imaginés par des artistes aux origines culturelles multiples et aujourd’hui basé·es à Bruxelles. La première impression qui frappe, en embrassant leurs œuvres du regard, comme on le ferait d’un paysage, c’est celle-là : ici, aucune esthétique ne prédomine. Car aucun effet spectaculaire ne s’efforce de capter l’attention, cette denrée rare sursollicitée, devenue le nerf central d’une véritable économie. Plutôt, tout bruisse de voix contenues ou de sourdes clameurs ; tout s’efforce à préserver, comme la flamme dans l’âtre, des traces spectres ou des présences.
Lieux de sociabilité
Dès le seuil, c’est un rituel qui s’élève, diffracté en trois écrans, filmé et parfois performé par la Cubaine Lazara Rosell Albear, inspiré par la santería afro-cubaine qui fournit son cœur à une série de l’artiste, en cours depuis 2004. Plus loin, des voix enregistrées, et autant de récits intimes de femmes cis et trans de différents âges et origines recueillis par l’Italienne Anna Raimondo, dressent une cartographie psychogéographique de leurs expériences de l’urbanité.
Il y a encore, dans une salle plus intimiste, le café reconstitué par le Belge Vincen Beeckman à partir de son exploration de deux cafés de nuit bruxellois, le Cobra Jaune et l’Africa Moto, traduisant quelque chose de ces lieux de sociabilité qui accueillent des communautés afro-descendantes. Si certaines installations sont plus directement spatialisées, elles n’en restent pas moins cryptées, ou cryptiques : intimes, subjectives, le code commun manquant à la multitude et restant chaque fois à réactiver.
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Depuis une sphère intime préservée
Enfin, pour deux des pièces maîtresses de la proposition, c’est encore ce “corps incorporel de la lettre errante qui s’en va parler à la multitude sans visage” qui prévaut, pour reprendre les mots du philosophe Jacques Rancière, attaché, dans son ouvrage La Parole muette, à faire une place à cette prose banale et incantatoire à la fois, qui sourd depuis les “agencements narratifs ordinaires”.
À ce régime d’énonciation participent les sirènes du Marocain Younes Baba-Ali, celles des policiers qu’imitent les jeunes des quartiers tel un cri moqueur, ou encore les Parlophones de l’Algérien Oussama Tabti, une installation de sonnettes d’interphones qui, activées, inversent l’appel : ce sont elles et eux, les sept habitant·es, qui nous interpellent et nous adressent, depuis leur sphère intime préservée, leurs récits de frontières et de seuils franchis, de portes restées closes ou à peine entrouvertes.
Reprenant la tradition du “subjectif unilatéral” (Harald Szeemann) ou des “musées sentimentaux” (Daniel Spoerri), Multipli.city se connecte également à l’approche sociologique du “glocalisme” qui, en reliant local et global, outrepasse celle des États-nations, dont la réalité vécue démultiplie et complexifie de toutes parts les archaïques tracés frontaliers.
BXL UNIVERSEL II : multipli.city jusqu’au 12 septembre, CENTRALE, Bruxelles
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