Jiyeon Kim expose une série de tableaux de photos de (vrais) profils Tinder. Avec ces portraits, l’artiste sud-coréenne installée à Berlin réfléchit à l’identité. En nous présentant comme des produits sur des applications, nous voulons montrer qui nous sommes, ou plutôt qui nous aimerions être. Rencontre.
Pourquoi peindre des inconnus choisis sur Tinder ?
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Ji-Yeon Kim – J’ai quitté Séoul pour Berlin il y cinq ans et j’ai commencé à utiliser les applications de dating. Toutes ces photos de profils défilant sous mes yeux m’ont immédiatement fascinée. En tant que peintre et plus particulièrement peintre de portraits, la façon dont nous nous représentons nous-mêmes, dont nous nous présentons aux autres m’a toujours intriguée, passionnée. A travers nos photos de profil sur les applications, nous donnons un aperçu direct de qui nous sommes, ou plutôt qui nous aimerions être, de nos motivations inconscientes, nos désirs, nos rêves.
Comment parvenez-vous à voir tout ça à travers quelques photos ?
(Rires) Je ne connais pas ces gens alors je ne sais pas vraiment tout ça, évidemment, ce sont mes intuitions. Mais l’important est de s’arrêter et de se poser la question. Je passe énormément de temps sur chaque portrait, donc je passe énormément de temps à observer la personne, à me demander ce que son regard veut dire, à me demander ce qu’elle cherche exactement ici, etc. Evidemment, mon tableau ensuite n’est qu’une interprétation personnelle, mon regard.
Nous voyons tellement de profils sur Tinder, nous avons tellement d’options à notre disposition que nous oublions parfois que les profils que nous faisons défiler ne sont pas seulement des profils, mais des personnes. En oubliant cela, nous acceptons de considérer les autres comme des produits et de nous considérer nous-même comme un produit. En peignant ces profils,, je veux les rendre humains à nouveaux. A terme, je voudrais peindre une centaine de profils Tinder et les exposer tous dans la même salle. Pour qu’en arrivant, le visiteur ait le sentiment d’être écrasé au sein d’une masse anonyme, exactement comme on peut le ressentir sur Tinder. Transposer dans le réel cette impression. Pourtant il n’y aura qu’une centaine de tableaux, alors que sur Tinder, nous sommes noyés au milieu de 50 millions d’autres utilisateurs. 50 millions ! Pouvez-vous même vous le représenter ?
Les personnes que vous peignez sont-elles prévenues ?
Certaines ! Celles qui m’ont matchée oui, mais pas les autres. C’est ici un des points les plus intéressants de l’exposition, je trouve. Mon exposition se tient dans un petit café de quartier à Berlin, dans une petite salle, rien d’extravagant ! On a beaucoup plus de chance de vous retrouver sur Tinder qu’ici. Et pourtant j’ai déjà entendu des dizaines de fois ou lu sur les réseaux sociaux “j’espère que mon profil n’y est pas!”. En étant sur Tinder, vous acceptez de montrer, publiquement, ce que vous pouvez offrir à quelqu’un de plus intime, de plus authentique. Et il n’y aucun moyen de rendre votre profil privé, absolument tous les utilisateurs peuvent le voir, même votre boss, même votre mère, même n’importe qui !
Et quand je prends ces exactes même informations, qui m’ont été offertes, mises à ma disposition et que je les transpose dans le monde réel dans un tableau, panique ! Je trouve ça passionnant. Je pense que cela dit beaucoup de notre rapport au réel et au virtuel, et comment vivre dans un monde où les deux sont en train de devenir une seule et même nouvelle réalité. J’ai toutefois choisi de représenter ces visages avec des contours flous pour leur rendre une part d’anonymat. Aussi pour représenter ce sentiment d’incomplétude, de manque, cette solitude que peuvent ressentir les utilisateurs de l’application.
Votre exposition s’intitule “la ville des célibataires” et se tient à Berlin. Ne pourrait-elle pas se tenir, sous le même nom, dans toutes les grandes villes occidentales ?
Sûrement. Berlin a cette particularité d’être une ville très attirante et cosmopolite où vous pouvez vous y sentir à la fois très entouré et très seul. Mais c’est évidemment davantage une question de génération que de géographie. C’est aussi une question universelle de quête de soi, de quête d’une représentation fidèle de soi, et de quête de l’autre.
City of singles – Portraits of Tinder Juqu’au mercredi 1er mars Ex Berlin Zionskirchstr. 16, 10119 Berlin
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