Dans le cadre de la 75e édition du festival, sous forme de conférences ou de spectacles, plusieurs textes abordent la question de la nuit. Parfois inquiétante, parfois poétique, elle nous amène à nous poser d’innombrables questions sur notre liberté, nos identités, nos rêves et nos peurs.
“La nuit a toujours été le royaume de la liberté et de la peur, un espace où les frontières s’estompent, où tout change d’aspect et de sens, dans l’ivresse ou dans l’effroi. La nuit questionne nos vies, interroge notre finitude.” Ces mots de Laurent Gaudé – auteur du texte de La Dernière nuit du monde, un spectacle mis en scène par Fabrice Murgia et présenté à la 75e édition du Festival d’Avignon – résonnent particulièrement en 2021.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La nuit semble être là, partout où on tourne l’œil. Dans La Dernière nuit du monde, forcément, mais aussi ailleurs. Elle est notamment au centre d’un cycle de conférences animées par Joseph Confavreux, journaliste chez Mediapart. Après tout, entre la fermeture des lieux de fêtes puis l’instauration d’un couvre-feu dans toute la France, notre rapport à l’obscurité a été questionné plus que jamais ces derniers mois.
>> À lire aussi : Au Festival d’Avignon, “Penthésilé·e·s” célèbre la puissance des femmes d’hier et de demain
Michaël Fœssel, auteur du livre La Nuit, vivre sans témoin (Éditions Autrement), revient sur la genèse de notre représentation de la nuit. L’histoire a valorisé Les Lumières, manifestant un soulagement à sortir de l’obscurantisme intellectuel et de la superstition à la fin du Moyen-Âge. Le philosophe remet en question cette opposition fondatrice et nous met en garde contre celles·ceux qui tenteraient d’absolutiser la nuit. Le politique – déjà bien avant l’instauration d’un couvre-feu – s’est fait un devoir de surveiller et de contrôler la nuit, soucieux des débordements qu’elle pouvait provoquer. “Parce que la nuit, c’est vivre sans témoin, montrer des choses qu’on ne s’autoriserait pas le jour”, explique Fœssel. D’où l’obsession de contrôle de l’État et l’instauration de politiques nocturnes, souvent restrictives, à l’égard des fêtard·e·s, du possible renversement identitaire, voire de la dilatation des normes journalières que le pouvoir impose. La question de notre rapport à la nuit, en somme, pose la question de notre rapport à la liberté.
Venir au bout de sa nuit
La nuit, Jean-Pierre Brouillaud en connaît toutes les subtilités. Toutes les nuances. Pourtant, il est rare de croiser une personne plus lumineuse. Cet écrivain aveugle rejette ce qu’il nomme l’illusion du handicap : “Le handicap existe uniquement dans le regard des autres. Moi, je ne me sens pas handicapé dans leur regard. Le premier handicap, c’est de ne pas vivre en accord avec soi.” La vue, il l’a perdue à 20 ans. Il s’est reconstruit “à son insu”, dit-il, sur les routes du vaste monde. Voyager pour vivre autrement. Une femme, un travail, des enfants ? Très peu pour lui. Pourtant, il a une fille de 25 ans, Leila. Elle aussi aime la route. “Elle est alternative et super”, confie-t-il.
>> À lire aussi : Avignon Off : avec “Loss”, Noëmie Ksicova fait du deuil un appel à la vie
Dans le cadre du Off d’Avignon, l’écrivain propose une lecture de ses récits de voyage dans le noir. La nuit tombe sur la salle. C’est angoissant, terrifiant, d’expérimenter le noir total les yeux grand ouverts. On les ferme instinctivement, puis on s’en empêche. Lui vit dans le noir perpétuel. C’est tout le sens de l’expérience. Après quelques instants, sa voix nous emmène aux quatre coins du monde. Ses textes poétiques, d’une beauté saisissante, nous feraient presque oublier le temps, l’espace, nos corps. Au bout d’une poignée de minutes, l’attention aux sons se développe. On entend le tic-tac des montres, le bruit des pages qui se tournent pendant que Jean-Pierre lit en braille. La lumière augmente progressivement, jusqu’à ce qu’on se retrouve sous un éclairage tamisé. À la fin de la lecture, Jean-Pierre Brouillaud demande aux spectateur·trice·s leurs réactions, leurs émotions. “Même quand la lumière a augmenté, j’ai fermé les yeux pour rester dans le noir. C’était trop bien.” La tournure du spectateur manque de tact, mais Brouillaud comprend. Toujours optimiste, jamais outré. Un être exceptionnel en somme.
Cycle de conférences “Au bout de la nuit” par Joseph Confavreux (Mediapart/La Revue du crieur). Du 12-15 puis du 19-22 juillet, de 10 h 30 à 12 h 30, au Cloître Saint-Louis.
Voyage au bout de ma nuit (lecture dans le noir) de Jean-Pierre Brouillaud. Du 7 au 30 juillet, de 19 h 40 à 20 h 25, à La Maison de la parole (7 rue du Prévôt, 84000 Avignon).
{"type":"Banniere-Basse"}