Pendant quatre ans, l’artiste belge a photographié l’intégralité de ses possessions. Un exercice d’introspection et d’endurance émouvant, à retrouver dans le bien nommé “Katalog”, publié en juin chez Delpire, et aux Rencontres d’Arles.
En feuilletant Katalog de Barbara Iweins, on bute d’abord sur un mot, “sébile”. Dans l’un des cinquante textes qui jalonnent l’ouvrage, la photographe, en regard d’une mosaïque d’assiettes rose poudré, relate un souvenir d’adolescence, un repas de famille en présence du grand-père. La jeune femme temporise, rassemble son courage et enfin se lance : à la tablée, elle annonce qu’elle abandonne ses études de droit. Le patriarche, que l’on devine redouté, ne fera qu’un commentaire adressé aux parents : “J’espère que vous lui avez offert une sébile…” Plus tard, Iweins, aussi ignorante que nous, s’enquiert du terme auprès de son père. La réponse que marmonne ce dernier claque comme un coup de fouet : “C’est la coupelle d’un mendiant.” En une double page, le ton doux-amer de Katalog est donné.
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Basée à Bruxelles, Barbara Iweins s’est lancée, à 40 ans et à la défaveur d’une séparation, dans un projet à haut potentiel masochiste : l’inventaire au protocole strict de l’intérieur de sa maison, soit l’examen de quarante années d’accumulation par une autoproclamée “collectionneuse névrosée”, avec trois enfants dans l’équation. 2 795 objets, pour 12 795 photos.
Des kilomètres de jouets en plastique
En guise de préambule à la visite guidée, pièce par pièce, que constitue le livre, d’autres chiffres encore : “Objet 8427 à 8458 : vous êtes dans les toilettes” – c’est démesuré, presque obscène, jouissif. Et on essaie d’imaginer l’état d’esprit de l’artiste, faisant prendre la pose à des kilomètres de jouets en plastique, le vertige grandissant face à l’ampleur de la tâche. Le travail aura duré quatre ans.
Aux Rencontres d’Arles, l’exposition Katalog offre un aperçu fragmentaire de la publication. Trois cimaises et des tirages en aplat sur des structures cubiques : plus que des natures mortes, on retrouve dans les planches quelque chose de la pratique de portraitiste de la photographe. On se perd d’abord dans la contemplation des possessions sur fond blanc, un alignement de fourchettes immortalisées sous leur meilleur jour, chaussettes orphelines, mobilier vintage, avant qu’Iweins ne nous réancre à la réalité depuis les textes posés aux murs, également extraits de son livre.
C’est aussi par les mots qu’Iweins insuffle du relief à un trench coat ou à cette bouillotte méthodiquement réduite en lambeaux
Peu à peu, on s’insinue dans l’intime véritable, entre les lignes d’une histoire de vie aussi légère ou cabossée qu’une autre, là où l’émotion nous cueille. Au milieu d’autres repas de famille, de fulgurances d’enfants, de petites et grandes trahisons. C’est aussi par les mots qu’Iweins donne chair aux choses, par ses récits à vif comme si de rien n’était, qui insufflent du relief à un trench coat ou à cette bouillotte méthodiquement réduite en lambeaux, qui touche au cœur.
Malgré la répétitivité de son dispositif, Katalog surprend page après page et l’installation arlésienne, nichée dans les locaux de poche des éditions Photosynthèses, s’apprécie alors comme son complément immersif, que l’on arpente et qui aimante en quelques pas.
Beaucoup des photographes invité·es par le festival cette année captent, souvent pour le meilleur, le pouls d’un alentour proche ou lointain : on pense à la merveilleuse expo collective Et pourtant, elle tourne sur la photographie “post-documentaire” américaine, aux archives de Babette Mangolte, mémoire vivante de la scène avant-gardiste new-yorkaise dans les années 1970-1980, ou encore au travail vidéo de Noémie Goudal, qui nous confronte à notre passivité face à l’écocide en cours. Barbara Iweins, elle, porte toute son attention sur ce qui constitue son monde intérieur. Par sa démarche singulière, qui transcende la trivialité de l’espace domestique, son Katalog s’impose comme l’une des propositions les plus marquantes de cette 53e édition des Rencontres d’Arles.
Katalog de Barbara Weins (Delpire) 368 p., 42 €.
Jusqu’au 25 septembre aux Rencontres de la photographie, Arles ; à découvrir également à partir du 8 septembre à la librairie Delpire & co, Paris.
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