Figure de la danse postmoderne, retraitée depuis 2012, la chorégraphe Trisha Brown présente au Festival d’Automne quatre pièces qui couvrent le spectre de son inventivité
Au printemps dernier, l’image de Trisha Brown était placardée sur les murs de l’Akademie der Künste de Berlin – bâtiment à l’architecture tout en volumes brisés aux abords du parc Tiergarten – où sa compagnie était invitée.
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Pourtant, Trisha n’était pas là : malade, elle doit laisser cette tournée d’adieu se faire sans elle. Dans ce programme inédit, dans les discussions après le spectacle, Trisha est pourtant omniprésente. On mesure à cette absence et ce qu’elle suscite l’importance de cette pionnière de la postmodern dance aux Etats-Unis, dont l’influence reste intacte.
Après une formation académique, elle fait ses classes au Mills College en Californie, se confrontant à différents styles (des claquettes à la méthode Graham). Puis, de rencontre en rencontre – Anna Halprin puis Simone Forti, Yvonne Rainer ou Steve Paxton –, celle qui incarne la liberté du mouvement va s’inventer une destinée singulière.
Des années Judson Dance Theater aux grandes pièces avec sa compagnie ou aux collaborations avec des maisons de ballet ou d’opéra, Trisha Brown restera fidèle à l’inventivité. Pour cet ultime passage au Festival d’Automne – qui a reçu la chorégraphe à maintes reprises –, la compagnie n’a pas choisi la facilité.
Une danse complexe mais évidente
Aux yeux de Carolyn Lucas, directrice artistique associée de la Trisha Brown Dance Company, “c’est un choix collectif. Quand Trisha a pris sa retraite, on savait qu’il fallait penser à ce programme. Son travail s’étend sur une telle gamme… Je crois, justement, que l’évolution de son approche engendre une espèce de beauté. Il y a tant à choisir… D’une certaine façon, nous voulions aussi célébrer cela. Et proposer une palette de ce répertoire assez large qui, ici, va de Son of Gone Fishin’ (1981) à Solo Olos (1977), de Present Tense (2003, reconstruit en 2014) à Rogues (2011). Mais il y a autre chose, peut-être plus sous-jacent : par exemple, Son et Solo ont pas mal en commun, notamment le travail sur le mouvement inversé. D’une certaine façon, nous montrons d’un côté la complexité de la danse de Trisha et, de l’autre, l’évidence et la simplicité de son mouvement.”
Ainsi, aux “classiques” comme Astral Convertible ou Set and Reset ont été préférés les plus rares Son of Gone Fishin’ ou Rogues. “Son écriture est tellement riche… Je ne sais pas si le public le perçoit mais je sais qu’il se ‘connecte’ avec Rogues d’une façon directe”, précise Carolyn Lucas. Cette dernière décrit sans faux-semblant cette époque où “Trisha travaillait si dur toute la journée. Elle avait des idées très précises et créait des choses chaque jour. Travailler sur une pièce comme Present Tense fut formidable pour Trisha. Dans cette création, il y a deux groupes de trois danseurs, une ‘danse’ pour la tête, une pour les bras, une pour les jambes : chacun avait la responsabilité de faire ‘fusionner’ les trois. Dans cette optique, Trisha avançait de multiples directions et, en même temps, elle proposait une véritable démocratie. L’idée était que les danseurs arrivent à une qualité organique”. Dans la trajectoire de Trisha Brown, les arts plastiques occupent une place à part. Des rencontres aux collaborations, la chorégraphe n’a jamais cessé de se frotter aux disciplines plastiques. Il y a aussi – et surtout – son rapport à la musique qui est si justement exploré. Pour Carolyn Lucas, “ce lien à la musique est si beau… Je crois que c’est aussi ce que dévoile le programme”.
Toujours d’actualité
C’est particulièrement flagrant dans Son of Gone Fishin’ où Trisha Brown utilise des extraits de l’opéra de Robert Ashley Atalanta (Acts of God). “Au départ, nous avons travaillé dans le silence. Nous avions à notre disposition neuf cassettes dans lesquelles nous avons pioché ce dont nous avions besoin. D’une certaine façon, la danse et la musique sont, ici, indépendantes. Bien que tout soit en contact.” Joli paradoxe qui révèle le fonctionnement créatif de Trisha Brown. Comme avant elle la compagnie de Martha Graham ou de Merce Cunningham, il a fallu penser l’interprétation au présent.
Que danser et avec quels solistes ? “Le groupe de danseurs réunis pour cette tournée – qui, pour certains, n’ont jamais travaillé avec la chorégraphe – montre toute l’influence de Trisha Brown. Il y a chez eux une immense motivation, un désir de danser ce répertoire malgré l’absence de Trisha. Elle est vraiment un maître. Ces interprètes dansent avec une intégrité incroyable. L’œuvre de Trisha Brown est toujours d’actualité. Si je regarde une pièce comme Solo Olos – qui a quarante ans –, je me dis qu’elle aurait pu être créée il y a vingt ans, voire hier !”
Une leçon de vie
Une sorte de courant continu parcourt en effet la soirée. Et le temps se dilate : quelque chose comme quatre décennies ou plus. Mais une exigence corporelle intacte. “Durant toutes ces années où je l’ai vue travailler, créer, j’ai compris à quel point ses standards étaient hauts. Elle était si dévouée à son art… Je la revois en studio recommencer encore et encore jusqu’à obtenir ce qu’elle voulait”, raconte Carolyn Lucas, dont l’émotion est palpable.
D’une certaine manière, ce programme entre hommage et souvenir est également une leçon de vie. La compagnie, engagée dans des adieux étalés sur trois ans qui arrivent à leur terme, doit se penser un futur. Ainsi, le Pennsylvania Ballet va présenter en 2016 O Zlozony, dans une sorte de première américaine.
“Nous avons à prendre des décisions artistiques et d’autres plus pratiques, précise Carolyn Lucas. On ne peut y échapper. Et puis une compagnie et ses danseurs ont besoin de créer de nouvelles oeuvres. Ce qui est impossible sans Trisha. Elle voulait que ses pièces continuent à tourner tant qu’il y aurait une demande pour cela. Nous avons donné, il y a peu, au Musée universitaire de Navarre à Pampelune, In Plain Site 1, des extraits de chorégraphies de Trisha ou des courtes pièces dans un autre rapport au public. Depuis le travail sur les early works avec Trisha il y a quelques années, nous avons appris comment faire résonner les chorégraphies avec des sites spécifiques, comme un musée, une place ou un jardin. Il y a cette idée de rendre les choses fluides alors que le public est tout autour.”
La chorégraphe Trisha Brown a déclaré un jour : “Je joue le mouvement, en faisant rimer ou en faisant écho à un mouvement précédent, en utilisant plus tard une autre partie du corps et peut-être en détraquant le mouvement. Je mets les phrases sens dessus dessous, je les inverse.” Sa danse ne cessera jamais de parler à chacun de nous.
Quatre pièces de Trisha Brown au Théâtre national de Chaillot du 4 au 13 novembre
jeudi 5 novembre
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