Le metteur en scène Olivier Coulon-Jablonka revient sur l’aventure de “81 avenue Victor Hugo”, créée avec des sans-papiers à La Commune d’Aubervilliers et sélectionnée en dernière minute pour le Festival d’Avignon.
Pouvez-vous préciser en quoi consiste votre pratique du théâtre documentaire ?
Olivier Coulon-Jablonka – A l’origine de mes spectacles, il y a le désir de faire des allers et retours entre des œuvres de la littérature dramatique et un travail documentaire critique sur des sujets de société. En guise d’exemples, dans Des batailles, il s’agissait de mettre en rapport Pylade de Pasolini avec les élections de 2007. Pour Paris nous appartient, la question de l’urbanisme et de la planification du territoire en Seine-Saint-Denis se tissait à la trame fictionnelle de l’opérette La Vie parisienne d’Offenbach.
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Comment le concept de Pièce d’actualité, initié par Marie-José Malis au théâtre La Commune d’Aubervilliers, change-t-il pour vous la donne ?
Cette commande incite à quitter la forme d’un théâtre à visée critique pour s’engager sur la piste d’un autre qui témoigne. J’ai pour habitude d’enquêter puis de construire une mise en scène avec une troupe d’acteurs. Ici, il fallait expérimenter une nouvelle pratique ; rencontrer des habitants d’Aubervilliers, qu’ils soient au cœur d’une problématique sociétale et, à terme, leur donner les moyens de porter leur propre parole sur le plateau.
Quelle a été votre méthode pour trouver un sujet en lien avec la ville ?
J’ai commencé par constituer une équipe réunissant Barbara Métais-Chastanier, qui est dramaturge, auteur et enseignante à l’université, et Camille Plagnet, vidéaste et documentariste. Il a fallu assumer le côté forcément empirique de l’approche. Prendre le pouls d’une ville, c’est partir à la recherche d’un lieu sur lequel se lancer. Suivre le fil de nos intuitions en sachant qu’elles pouvaient ne pas aboutir.
Nous avons commencé par tester nos premières idées ; en prenant contact avec les ingénieurs du centre de recherches de Saint-Gobain, en enquêtant sur les data centers implantés sur la commune ou en nous questionnant sur l’hôpital et les rapports qu’entretiennent les habitants avec la santé. Mais ces pistes ne nous semblèrent pas suffisamment concluantes pour les approfondir. Et dans une ville aussi mélangée qu’Aubervilliers, la question des sans-papiers revenait souvent dans les conversations.
Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au collectif des sans-papiers du 81, avenue Victor-Hugo ?
C’est un article de Mediapart qui nous a alertés sur la situation d’un collectif de sans-papiers originaires du Mali, de Côte-d’Ivoire et du Bangladesh, qui avait investi une ancienne antenne de Pôle emploi à Aubervilliers. C’est en allant à leur rencontre qu’on s’est dit que quelque chose était possible.
Tout a commencé sur un malentendu.
Ils s’étonnaient que des gens du théâtre de La Commune viennent les contacter alors qu’ils n’arrivaient pas à obtenir de rendez-vous avec la Mairie. Il a fallu leur expliquer que nous étions des artistes et n’avions rien à voir ni avec la police ni avec les représentants de la municipalité. Avec eux, et dans la nécessité d’agir pour porter une lutte dans la lumière, le projet trouvait son évidence. Restait à les convaincre que l’on pouvait construire quelque chose ensemble.
C’est l’actualité d’une lutte qui devient le sujet de la pièce.
Avec le collectif, l’expérience théâtrale atteignait un point limite lié à leur condition d’habitants non reconnus et en lutte pour l’être. Légalement, ça s’annonçait très compliqué et il n’était pas question que le projet artistique leur fasse courir des risques supplémentaires. Autre ambiguïté, notre demande de témoigner du récit de leur vie les plaçait dans une situation semblable à celle qu’ils vivent dans leurs démarches de régularisation.
Il fallut beaucoup expliquer pour que la confiance s’instaure. Au vu des entretiens, on s’est dit qu’il était essentiel qu’ils soient présents sur scène. Onze des quatre-vingts membres du collectif ce sont portés volontaires et au final ils sont huit sur le plateau. Il y a eu à vaincre nos peurs réciproques et on a vécu de nombreux moments de panique ensemble. Ça s’est joué en permanence sur un fil.
Le spectacle a été un succès public, il va être repris à La Commune et il a été programmé en dernière minute au Festival d’Avignon.
On est sur une pièce à la lisière de l’extra théâtral. Au vu de leur statut, on a passé notre temps à marcher sur des œufs tout en ayant l’ambition que le spectacle tienne artistiquement la route. On s’est limité à la situation concrète de ces hommes-là. Le but était d’aboutir à une forme très simple qui rende compte, en face du public, du même type de rencontre que celle qui s’était établie avec nous.
Le succès tient beaucoup à la générosité de leur engagement, sans oublier leur détermination d’en faire un objet utile pour leur combat. Répondant à leur invitation, le préfet a vu le spectacle et a accepté de les rencontrer. Par la suite, il a décidé d’accélérer non seulement la procédure de régularisation des huit qui jouent, mais s’est engagé à étudier le cas de chaque membre du collectif. C’est une aventure qui s’est construite de A à Z comme une improvisation.
81 avenue Victor Hugo (Pièce d’actualité) texte d’Olivier Coulon-Jabloncka, Barbara Métais-Chastagnier et Camille Plagnet, mise en scène Olivier-Coulon-Jabloncka, du 23 au 25 juillet au Festival d’Avignon, 15 h, gymnase du lycée Saint-Joseph, du 1er au 8 octobre à La Commune, Centre dramatique national d’Aubervilliers, lacommune-aubervilliers.fr
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