Avec « Le Chagrin », Caroline Guiela Nguyen et sa compagnie dessinent une enfance qui se télescope avec le réel quand le deuil frappe à sa porte.
C’est un capharnaüm bleuté qui, à première vue, ressemble à une chambre d’enfant surchargée de poupées et de jouets, de dessins et de cadres, de papiers découpés et de vitrines où s’amoncellent les trésors amassés et les objets bricolés. Mais, sous la féerie et le merveilleux, le cauchemar sourd et bruisse, les peluches sont ligotées, des têtes de mort remplissent les frises, un cri muet emplit l’atmosphère et colore le silence tandis que les acteurs s’affairent à jouer et que le public s’installe.
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Le cadre est posé : après l’hyperréalisme de son précédent spectacle, Elle brûle, qui parcourait dix ans de la vie d’une famille, Caroline Guiela Nguyen s’attache à révéler la modification des liens dans une fratrie à l’heure du deuil. La mort du père révèle une temporalité floue où tous les âges se mêlent et où le présent fait obstacle à la pérennité des choses et du lien familial.
Un va-et-vient entre des dialogues connectés au réel, ses ratages,
ses souvenirs et les masques qui tombent
Avant même qu’un mot ne soit prononcé et qu’on saisisse que ces quatre adultes occupés à des jeux d’enfants sont un frère et une sœur, leur “tantine” et la sœur de leur père, saute aux yeux cette réalité partagée par tous : quand un parent meurt, on enterre son enfance avec lui et rien, pour ceux qui lui survivent, ne sera jamais plus comme avant. C’est à d’autres sources et à d’autres attaches que l’entrelacs des relations devra se forger.
“La famille pour l’enfant est vécue comme un tout, une île perdue au milieu de rien. Elle a son organisation propre, ses propres règles, mais le monde est en train de gronder, il est en train d’arriver et arrivera toujours, constate Caroline Guiela Nguyen. Une fois encore, c’est l’intrusion qui va provoquer le déséquilibre, engloutir à jamais cette île, demander à l’enfant de négocier avec le bruit du monde.”
Construit à partir d’improvisations avec les acteurs, Le Chagrin fait le va-et-vient entre des dialogues connectés au réel, ses ratages, ses souvenirs et les masques qui tombent, et ce par quoi chaque enfant se forge une place dans le monde en se racontant des histoires : le jeu. Elaborer la coiffe d’une poupée, taillader un sac de terreau, pétrir de l’argile, faire tomber une pluie de paillettes dorées, recouvrir le néant d’une illusoire beauté.
On songe à La Classe morte de Tadeusz Kantor, dont Caroline Giuela Nguyen cite en exergue un extrait du Théâtre de la mort : “La chambre de mon enfance est obscure, un CAGIBI encombré. Ce n’est pas vrai que la chambre de notre enfance reste ensoleillée et lumineuse dans notre mémoire.” Les peurs qui l’habitaient ne nous quittent jamais et, comme le génie sortant de sa lampe, enflent à mesure que le temps passe et que la mort nous guette. C’est de cette étoffe-là qu’est tissé le chagrin, avec sa part de rêve qui se cogne au réel.
Le Chagrin par la compagnie Les Hommes Approximatifs, mise en scène Caroline Guiela Nguyen, jusqu’au 6 juin au Théâtre national de la Colline, Paris XXe, colline.fr
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