Atteinte par les circonstances particulières, la seconde partie du festival marque tout de même par la puissance des interprétations.
Deuxième semaine, deuxième salve de spectacles. Forcément particulière, la 75e édition du Festival d’Avignon se poursuit, tendue par une contradiction : moins de monde qu’à l’accoutumée, une atmosphère moins fiévreuse, des soirées moins tardives ; même les parades du Off se font plus discrètes… Et pourtant, dans les salles, l’engouement est plus fort – et les standing ovations quasi systématiques –, comme si les retrouvailles avec le théâtre, la danse et les performances suffisaient à conquérir un public en manque. Las, peu de coups de foudre jalonnent le deuxième volet de la programmation, tristement marquée par l’annulation de deux spectacles de danse attendus (Covid oblige) : Le Sacrifice de Dada Masilo et INK de Dimitris Papaioannou. Mais, ne boudons pas notre plaisir, il y avait largement de quoi se réjouir en Avignon.
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Rendons hommage à Emma Dante, qui montre les liens qui unissent trois prostituées et un enfant handicapé dans Misericordia (lire la critique dans L’Hebdo numérique n°6). De la mise en musique des cancans pétaradants, en passant par la danse pleine de rage et de douleur figurant les ébats forcés des trois femmes, jusqu’à la performance si gracieuse du jeune Simone Zambelli (quelle découverte !), l’artiste italienne parvient à mener ses protagonistes sur un fil entre douceur et brutalité, humour et gravité.
Avec The Sheep Song, les Belges du collectif FC Bergman composent une fable animalière où un mouton décide de sortir de son rang pour rejoindre le monde des hommes. Malgré des problèmes de rythme et une écriture inaboutie, nous retenons les beaux tableaux qui illustrent ce conte cruel de métamorphose ratée.
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Sans queue ni tête
Éric Louis crée un spectacle réussi à la gloire d’Antoine Vitez dans De toute façon, j’ai très peu de souvenirs. Avec les excellent·es jeunes acteur·trices de deux écoles, l’Ensatt et de l’Ercam, il met en scène les ancien·nes apprenti·es comédien·nes de l’artiste mythique lorsque celui-ci dirigeait l’école du Théâtre national de Chaillot au travers d’une impressionnante collection de témoignages. La Collection, justement, c’est le titre de la belle surprise du Off. Le collectif suisse BPM propose un spectacle détonnant et hilarant autour de deux thématiques bien particulières : le vélomoteur et le téléphone à cadran rotatif. Sans queue ni tête, mais si remarquablement incarnée, cette courte pièce s’imposera certainement dans le circuit des théâtres privés.
Archée de Mylène Benoit tenait un peu de l’objet dansant non identifié. Brodant sur un souvenir – la vision d’un groupe de femmes pratiquant le kyudo, tir à l’arc traditionnel –, la créatrice réunit une communauté au féminin. Sororité, travail sur le souffle et la voix, Archée empreinte des voies détournées pour dire la fragilité d’un monde suspendu. Les gestes, lents, au désespoir d’une partie du public, tiennent du cérémonial autant que de l’affirmation de soi. Dommage que l’élan se brise à mi-temps, le spectacle ne sachant plus comment donner un second souffle à l’extase. Une séance de body painting dans les pas de Tamar Shelef, magnifique de résistance au vent comme au temps, emporte tout.
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Vivier d’artistes
Cząstki Kobiety (Une femme en pièces) a secoué le festival par la force de sa réalisation et l’engagement total d’une troupe, le TR Warszawa. La pièce de Kata Wéber, mise en scène par Kornél Mundruczó, est une implacable machine de théâtre. La première demi-heure est un film joué en direct, suivant l’accouchement de Maja. On comprend vite que le drame se fonde dans ces quelques minutes. Et qu’une vie (de famille) bascule. Lorsque l’on retrouve les comédien·nes à découvert, le cadre a changé. Un repas de famille, une réconciliation impossible. Le poids de la religion et de la société polonaise vont peser sur les destins. Maja reste debout, refuse d’accuser la sage-femme, de jouer le rôle voulu par les autres. La direction d’acteur·trices compense les effets inutiles – une musique appuyée, une ou deux images faciles. On reste abasourdi·e par ces artistes dans la vérité du moment. Presque inquiet·e devant ce réalisme si maîtrisé. On se dit surtout que la Pologne est un vivier d’acteur·trices unique en Europe.
Il revenait à Jan Martens d’enflammer le festival avec Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones, encore une œuvre célébrant l’esprit de troupe – dix-sept danseur·ses au plateau. Rescapée de l’édition 2020, la chorégraphie aurait pu se figer dans cet entre-deux confiné. Dès les premières mesures du Concerto pour clavecin et orchestre à cordes de Henryk Górecki – attention au risque d’accoutumance –, les solistes sont au rendez-vous d’une pièce ardente, parfois trop. Martens ose tout à la fois un savant travail sur les marches, l’hommage à Lucinda Childs et le simple plaisir d’être uni(sson). En bande sonore, les extraits du texte d’Ali Smith, Spring, viennent dérégler la mécanique au risque de surcharger le propos. Mais on gardera longtemps à l’esprit les paroles et la voix de Kae Tempest. Message personnel à la direction du festival sur le départ : on veut Tempest dans la Cour d’honneur l’année prochaine.
Festival d’Avignon jusqu’au 25 juillet
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