Enfin programmé à Avignon, le collectif grec Blitztheatregroup présente une de ses œuvres les plus sombres et visuelles. Une épopée de poésie pure
pour tenter de voir l’époque sous un nouveau jour.
A la source d’un romantisme toujours éprouvé, Christos Passalis, Aggeliki Papoulia et Yorgos Valais puisent une fois encore la matière même de leur regard esthétique sur le monde d’aujourd’hui. D’Hölderlin à Tarkovski, les membres fondateurs du Blitztheatregroup composent une odyssée désespérément belle aux confins d’une science-fiction qui jamais n’aura été aussi non-fictionnelle.
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“How to disappear completely ?” Comment totalement disparaître ? Une hache à bout de bras, en marge d’une lune décroissante projetée sur un vaste cyclo blanchâtre, un paysage de brume glacée, Aggeliki Papoulia ouvre cette odyssée désespérée par les mots de celui qu’Heidegger nommait “le poète des poètes” mais dont l’œuvre fut véritablement reconnue grâce à Nietzsche, figure emblématique du romantisme allemand, prophète d’un nouveau langage et de la poésie pure.
Elle dit, dans une pénombre vespérale, les premiers vers de Ménon pleurant Diotima d’Hölderlin : “Je m’en vais chaque jour pour la quête nouvelle, quel sentier du pays n’ai-je pas exploré ? Et ces fraîches hauteurs, là-haut, et ces ombrages, et ces sources aussi ? Car mon âme inquiète va par monts et par vaux, implorant un répit.”
Sept personnages en quête de sens
En quête de pure poésie, le Blitztheatregroup disparaît totalement dans la poétique d’Hölderlin et de ce qu’elle invente sur le plateau, un no man’s land, une zone d’errance, un chantier abandonné dans les recoins de la Ruhr. Un lieu de désolation habité par sept personnages en quête de sens répétant des gestes sans aucun sens, jusqu’à ce que pourtant, leur espace partagé, de métallique et minéral, devienne plus organique, habité, vivant.
Fortement influencé par le film Stalker d’Andreï Tarkovski mais aussi par le roman Roadside Picnic d’Arkady et Boris Strugatsky, le Blitztheatregroup articule un nouveau manifeste de l’évasion transformant l’espace, l’apprivoisant, augurant d’un possible ailleurs alors que tout, autour, semble inquiétant.
Une dramaturgie plastique qui englobe
Au bord du monde, cherchant un nouvel endroit pour vivre, ces gens de peu inventent et créent un nouvel imaginaire, guidés sur les chemins sinueux de ce voyage initiatique par les vers élégiaques du poète, se déployant ici en une vaste œuvre plastique, scénographique, envahissant le cadre de scène. Un personnage en soi, quand les outils du théâtre peuvent donner forme et beauté visuelle à la quête poétique.
L’expérience de 6 A. M. How to Disappear Completely est en cela unique, sans réalisme, ne jouant pas de codes épiques et célébrant une dramaturgie plastique qui échappe et englobe. Enigmatique, à l’instar de l’œuvre que compose le Blitztheatregroup depuis de nombreuses années, seul dans sa quête violente et absolue d’un romantisme exacerbé et lucide, furieux dans le regard qu’il porte sur le monde. Et pourtant, à l’aube de cette nuit passée avec Hölderlin, s’éclaire en lettres de néon le mot grec signifiant “enthousiasme”.
6 A. M. How to Disappear Completely par le Blitztheatregroup, d’après Friedrich Hölderlin, spectacle en grec surtitré en français et en anglais, du 7 au 10 juillet à 18 h, Opéra Grand-Avignon
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