Il n’y a définitivement plus de dauphins dans les canaux, seulement une effervescence d’expositions nichées dans les palais, jardins et autres fondations. On vous aide à y voir plus clair.
Pour décrire la Biennale d’art de Venise, les superlatifs abondent. Parce qu’elle est la plus ancienne, la plus prestigieuse, la plus entourée également d’enjeux commerciaux dont le décompte se chiffre en millions d’euros, on s’est habitué·es à les voir fleurir. Alors, les gros titres la comparent à la Reine Mère, aux Jeux olympiques de l’art ou, de manière plus irrévérencieuse, à l’Eurovision.
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Le cortège d’événements d’ouverture passés, pour lesquels les passes presse et VIP ont vu se développer un lucratif marché noir, que reste-t-il aux visiteur·euses désireux·euses, malgré tout, de voir ce qui fait le cœur de l’art, des artistes, des œuvres, et un discours qui, jusqu’à la prochaine édition, tracera les lignes de force des tendances à venir ?
La Reine Mère bicéphale
Au sein du parcours central de la 59e édition, deux points forts sont récurrents d’année en année. Il y a tout d’abord l’exposition thématique, qui se déploie entre l’Arsenal et les Giardini. Confiée cette année à Cecilia Alemani, commissaire d’exposition italienne officiant à New York, elle a été placée sous le signe de l’artiste surréaliste Leonora Carrington : son titre, Le Lait des Rrves, provient du livre pour enfants qu’elle a rédigé et illustré à la fin de sa vie dans les années 1950.
Une manière, alors, de remettre les femmes et les identités non-binaires au centre du récit de l’histoire de l’art, par un parcours rassemblant 213 artistes, historiques ou vivant·es, au sein de capsules thématiques : le corps désentravé, ses métamorphoses rêvées, son devenir-cyborg. Avec notamment : Katharina Fritsch, Cosima von Bonin, Sandra Mujinga, Tetsumi Kudo ou Precious Okoyomon.
Ensuite, il y a les pavillons nationaux, aux Giardini toujours. Pétris d’enjeux diplomatiques, irrigués de soft-power. La nomination de Zineb Sedira pour la France s’avance nimbée d’un double symbole : quatrième femme, première artiste d’origine algérienne. Sur place, son pavillon plonge en écho à la thématique centrale dans un onirisme armé de désidentification : Les rêves n’ont pas de titre, son titre, plonge dans l’histoire du cinéma algérien de l’indépendance des années 1960, mêlant les remakes de scènes de films à ceux de lieux de l’enfance de l’artiste.
Venise, ville de peintres
Ensuite, il y a le off, ou les enfants illégitimes de la Reine. Et là, tout se complique. D’abord parce qu’une certaine partie est officiellement associée à la Biennale, moins off que “collatérale” donc, ainsi va l’expression consacrée ; un sésame auquel accèderont, sur candidature, une trentaine de projets – le plus souvent portés par les plus grosses galeries. Mais si l’on s’en tient au parcours d’expositions à Venise, un certain ensemble de pistes se dévide et organise autant de parcours thématiques possibles.
Le plus évident mise sur les duels au sommet des Titans de la peinture. Dans la ville de Veronèse, du Tintoret, de Bellini ou de Titien, se confronter aux fresques des maîtres de la Renaissance italienne est un exercice établi. Cette année, rivalisant de monumentalité sous les ors et les fresques des palazzi, place aux Allemands : Anselm Kiefer au Palais des Doges ou Georg Baselitz au Palazzo Grimani.
Du côté des fondations sises dans des écrins tout aussi ciselés, si le dialogue est moins direct, on ne manquera pas non plus les rétrospectives de l’Américain Kehinde Wiley à la Fondation Cini, décalant le regard vers le passé colonial de Venise, et de la Sud-Africaine Marlène Dumas, dressant sa galerie de portraits hantés et mnésiques à la Pinault Collection.
Plasticène et planète B
Le temps semble bien loin quand dans les premiers mois de la pandémie, chacun se prenait à croire au montage photographique de dauphins s’ébrouant joyeusement dans les canaux vénitiens. Cette année, la thématique aquatique, et plus directement écologique, est au cœur d’un grand nombre de projets. Une ironie contextuelle qui n’aura échappé à personne, alors que se masse dans ses ruelles le contingent mondialisé du l’art et de l’easyjet-set.
Il n’empêche, les projets de la jeune création s’y penchent en grand nombre, avec notamment l’arrivée entre les murs de la ville de la TBA21–Academy, un projet combinant art, science et recherche autour de l’océan. Longtemps itinérante, l’association s’est dotée d’un lieu en dur : Ocean Space, dans l’église San Lorenzo. Après l’américaine Joan Jonas en 2019 (elle représentait son pays en 2015), on y retrouvera cette année deux expositions solo de jeunes artistes : Dineo Seshee Bopape et Diana Policarpo.
Enfin, le curateur et critique français Nicolas Bourriaud donne le coup d’envoi, en même temps que d’une exposition, de la “coopérative curatoriale” Radicants, qu’il fera par la suite vivre à Paris, dans un lieu inauguré en mai. À Venise, au Palazzo Bollani, Planète B : Changement climatique et Nouveau Sublime rassemble une vingtaine d’artistes autour de son titre-programme, afin d’explorer les imaginaires ambigus du plasticène : Nils Alix-Tabeling, Bianca Bondi, Max Hooper Schneider ou Ambera Wellmann.
59e Biennale d’Art de Venise, Georg Baselitz. Archtinto et Planète B : Changement climatoque et Nouveau Sublime jusqu’au 27 novembre.
Anselm Kiefer. Questi scritti, quando verranno bruciati, daranno finalmente un po’ di luce (Andrea Emo) jusqu’au 29 octobre 2022.
Kehinde Wiley : An Archaeology of Silence jusqu’au 24 juillet 2022.
Marlène Dumas. Open-end jusqu’au 8 janvier 2023.
The Soul Expanding Ocean #3 : Dineo Seshee Bopape et #4 : Diana Policarpa jusqu’au 3 octobre 2022.
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