De Paris à Montpellier, voici notre sélection d’expositions à voir en mars.
Insert Coin, à La Monnaie de Paris, à Paris, jusqu’au 30 juin
Il ne faudrait jamais avoir traîné dans un bar français entre 1950 et aujourd’hui pour ne pas se sentir spontanément familier des ambiances, des objets et des décors que met en scène la Monnaie de Paris avec sa nouvelle exposition, Insert Coin. Où en huit salles distinctes visant à rappeler, décennie après décennie, l’évolution technique des machines de divertissement à pièce dans les cafés – juke-box, baby foot, flipper, Pac-Man et jeux vidéos en pagaille… -, l’on erre en pensant à ses jeunes années, forcément les plus belles. Celles où l’on pouvait, à la sortie du lycée, s’attarder dans des cafés pour jouer sa vie sur une seule partie de baby-foot face à Éric, Vincent et les autres, ou claquer cinq parties à la suite sur le flipper NBA, et rentrer chez soi roi du monde.
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Mise en forme de manière efficace par Jean-Baptiste Clais et Nicolas Galiffi, Insert Coin ne se contente pas d’un travail d’illustration et de décoration précis par le soin porté à tous les détails de chaque salle (un bibelot, une affiche, une carafe, un cendrier…, comme signes de leur temps) ; l’expo joint en effet le geste à la parole en proposant aux visiteurs de jouer eux-mêmes grâce à des jetons offerts au début du parcours. Interactive, donc, en plus d’être contemplative, l’exposition fait forcément du bruit, notamment dans la salle d’arcade, où les fétichistes des années 1980 pourront flamber auprès des jeunes générations, pour qui un flipper Indiana Jones, à l’inverse de leurs aînés, n’évoque qu’une carte postale d’un passé révolu. Dans cette plongée ludique et historique, activant une mémoire des gestes, des émotions affleurent, comme si, au-delà même des jeux, nos vies défilaient, associées à ces lieux qui furent le réceptacle de joies partagées, de défis d’adolescents, de fuites du temps au son des boules qui claquent, des voix qui s’étripent, des regards qui s’échangent, des porte-monnaie qui se vident.
Vera Molnár, Parler à l’œil, au Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 26 août
Disparue le 7 décembre dernier à l’âge de 99 ans, Vera Molnár ne pourra pas assister à l’hommage que le Centre Pompidou avait prévu de lui rendre à l’occasion du centenaire de sa naissance (en Hongrie, en janvier 1924). Cette rétrospective prend donc des airs d’éloge funèbre, riche de ses peintures, œuvres sur papier, sculptures et photographies… Une œuvre clé dans l’histoire de l’art du XXème siècle, car Vera Molnár, installée en France dès 1947, fut la première à produire dès la fin des années 1960 des dessins numériques en utilisant un ordinateur relié à une table traçante. Pionnière du codage informatique, cybernéticienne, elle a mis en place dans les années 1960 un mode de production qu’elle nomma “machine imaginaire”, nourrie de contraintes mathématiques. Elle fonda au début des années 1960 le Groupe de recherche d’art visuel avec son mari François Molnár et avec l’artiste François Morellet.
L’exposition, curatée par Christian Briend et Marjolaine Beuzard, rend compte de la créativité plastique et optique de l’artiste franco-hongroise, soucieuse d’explorer des formes générées par des ordinateurs et des dessins algorithmiques. Retracant l’évolution au fil du temps (long) de son travail d’expérimentation (de ses premiers dessins à ses peintures, propres à l’abstraction géométrique des années 1950, jusqu’à ses œuvres cybernétiques, dont sa Déambulation entre ordre et chaos ou ses Molnaroglyphes), l’exposition dévoile aussi des œuvres inédites, dont Perspective d’un trait (2014-2019), sculpture en acier inoxydable et aluminium anodisé dont la perception se transforme au gré des déplacements du regardeur. Vera Molnár activait l’œil, sollicité ici au gré d’une déambulation qui témoigne de la puissance d’une œuvre magnétique.
Dislocations, au Palais de Tokyo, à Paris, jusqu’au 30 juin
En collaboration avec l’association “Portes ouvertes sur l’art”, qui met en lumière des artistes en situation d’exil, de déplacement ou d’exclusion, le Palais de Tokyo expose avec Dislocations des parcours déchirés et des épreuves intimes dont l’art pourrait être l’outil de révélation autant que l’instrument de survie. Réunissant quinze artistes, jeunes ou consacrés, issus d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran, du Liban, de la Libye, de la Palestine, de la Syrie ou de l’Ukraine, l’exposition proposée par Daria de Beauvais et Marie-Laure Bernadac orchestre un parcours dense, émouvant, marqué par une succession de formes (dessins, peintures, photos, sculptures, installations…) et de récits hétéroclites reliés entre eux par le souvenir partagé des blessures de l’exil.
À l’image de la jeune photographe Sara Kontar, partie de Syrie en 2015 à l’âge de 19 ans, qui consigne ici son journal d’exil à travers une série photographique retravaillée au cyanotype (procédé permettant d’avoir un tirage bleu cyan) accompagnée d’un texte écrit bouleversant. Partie elle aussi de Syrie en 2013, Bissane Al Charif expose ici une série d’autoportraits, aux tonalités vertes, où les yeux sont souvent effacés, comme si le silence d’un regard impossible écrasait les paroles sur la violence de l’arrachement. La finesse des traits se poursuit dans le parcours avec le travail de Tirdad Hashemi qui, après avoir quitté l’Iran pour vivre librement en tant que personne queer, crée des dessins pour raconter son départ de son pays d’origine et la vie de communautés de drag-queens à Paris. Les paroles de femmes migrantes greffées et cousues par l’artiste Cathryn Boch sur des voiles de bateau disent aussi la violence des déplacements. Autant que les traces de sa vie ancienne au Pakistan laissées par l’artiste Fati Khademi, ou que celles suggérées par May Murad, née à Gaza en 1984, dans ses peintures où flotte le sentiment de l’éloignement de la terre natale, en pleine dislocation.
C’était mieux après, de Suzanne Husky, à la Galerie Alain Gutharc, à Paris, du 9 mars au 20 avril
Formée à la fois aux Beaux-Arts, à l’agro-écologie et à l’herboristerie, l’artiste franco-américaine Suzanne Husky présente sa seconde exposition personnelle à la galerie Alain Gutharc, C’était mieux après, parallèlement à d’autres dessins d’elle exposés à Drawing Lab, Le temps profond des rivières, hantés par la figure du castor, dont la présence est cruciale pour régénérer les cours d’eau, activer la flore dans les zones humides et perpétuer la biodiversité. Le castor permet en effet, grâce à ses barrages, de retenir l’eau, de ralentir son écoulement et de renflouer les nappes phréatiques, si mal en point, comme en témoignait récemment le beau film de Dominique Marchais, La rivière.
Chez Alain Gutharc, le travail de Suzanne Husky, centré sur ses catstors fétiches et sur les relations entre humains, plantes et espaces terrestres, se déploie à travers des dessins à l’aquarelle, céramiques, tapisseries, impressions sur bâche… Quelles que soient les formes qu’elle donne à ses impulsions écoféministes, elle livre une représentation d’un monde où tout est sacré et où tout se tient (plantes, animaux, humains) ; une interdépendance qui résonne tant dans la philosophie contemporaine et les sciences du vivant. Elle s’apprête d’ailleurs à publier un ouvrage chez Actes Sud avec le philosophe Baptiste Morizot, L’eau ou la vie, alliance avec le temps profond face au changement climatique. Nourrie de ses connaissances en sciences naturelles, traversée par son goût pour les mythologies et les légendes populaires (elle avait déjà détourné La Dame à la licorne en remplaçant les protagonistes par un bulldozer et un activiste écologique), l’œuvre de Suzanne Husky exprime une radicalité politique et écoféministe avec une douceur quasi enfantine. Ses dessins, poétiques et fragiles, mettent leur délicatesse au service d’un récit politique tendu. Dans cette tension, surgit la beauté étrange de ce geste sensible ajusté à l’assèchement du présent.
Entre les lignes : Art et Littérature, au MO.CO. et au MO.CO. Panacée, à Montpellier, jusqu’au 19 mai
À Montpellier, l’art et la littérature, les mots et les formes plastiques se mêlent dans une exposition transversale déployée dans deux centres d’art, le MO.CO. et le MO.CO. Panacée. Cinq auteurs et autrices – Jakuta Alikavazovic, Christine Angot, Jean-Baptiste Del Amo, Maryline Desbiolles et Daniel Rondeau – ont été invités à imaginer un projet personnel, pour révéler dans l’espace physique, et non plus seulement dans leur espace mental, ce qui les relie à la création contemporaine. Cinq voix, cinq parcours, cinq possibilités d’entremêler l’art et la littérature.
Au MO.CO. Panacée, Jakuta Alikavazovic pense ainsi l’exposition comme un sentiment, celui d’un temps cristallisé entre passé et futur, entre souvenir et pressentiment, entre ruine et renaissance. Jean-Baptiste Del Amo poursuit, lui, une recherche engagée sur la question des corps au sein d’un institut médico-légal. Au MO.CO., Christine Angot s’est associée à l’architecte Patrick Bouchain pour écrire une pièce intitulée Dressing. Sensible aux œuvres artistiques, comme elle en témoigne dans son livre Écrits pour voir, Maryline Desbiolles posera son regard sur des œuvres qui lui sont familières, en se concentrant sur la notion de lieu. Daniel Rondeau, enfin, rend un hommage au peintre espagnol Eduardo Arroyo. De ces cinq voix littéraires se confrontant à l’espace de la scène et des formes plastiques, dans un dialogue fécond, se dégage le sentiment que, par-delà ce qui les concerne en propre, les frontières du champ littéraire et du champ artistique se croisent facilement. Comme si entre les mots et les couleurs, les récits et les objets, il n’existait aucun mur de séparation, mais simplement des voies de passage, que les créateurs, romanciers ou artistes, empruntent avec la même intensité. Une programmation foisonnante (conférences, tables rondes, lectures, événements organisés en partenariat avec la Comédie du livre, la Boutique d’écriture et le Printemps des poètes 2024) accompagne parallèlement l’exposition Entre les lignes jusqu’en mai.
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