Aux foisonnantes Rencontres de la photographie qui se tiennent à Arles tout l’été, 3 expositions attirent l’œil en particulier : celles de David Fathi, de Masahisa Fukase et de la photo iranienne contemporaine.
Les Rencontres d’Arles sont sans doute l’événement le plus intéressant de l’année en matière de photographie contemporaine. Après vingt-sept ans d’existence, le festival pourrait subir aujourd’hui la rançon du succès de ce type de manifestation, une certaine forme d’institutionnalisation, un côté prescripteur plus que défricheur.
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L’édition 2017 évite cet écueil en restant fidèle à son esprit : rechercher en priorité les talents de demain. Ainsi de David Fathi, Français de 32 ans qui s’était déjà fait remarquer ici, l’année dernière, en remportant le prix Photo Folio. Une récompense qui lui permit de réaliser le projet exposé cette année dans trois salles de La Croisière, l’un des nouveaux lieux investis par les Rencontres.
David Fathi, Sans titre (route et cellule HeLa), série Le Dernier Itinéraire de la femme immortelle, 2017. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. / Untitled (road & HeLa cell), from the The Last Road of the Immortal Woman series, 2017. Courtesy of the artist.
Le Dernier Itinéraire de la femme immortelle explore l’histoire extraordinaire d’Henrietta Lacks, cette femme afro-américaine dont les cellules furent prises à son insu à sa mort, pour « servir la science« . Prélevé par le Dr George Gey, un échantillon de sa tumeur se comporta d’une façon tout à fait étrange : ses cellules continuèrent de croître et de se développer à l’infini. Rebaptisées « cellules Hela », elles furent testées pour des produits de beauté et vaccins, exposées à des radiations nucléaires, envoyées au quatre coins du monde, et même dans l’espace. Une partie de cette femme continue donc de vivre aujourd’hui, sous la forme de ses cellules mutantes. Ingénieur de formation, David Fathi s’est plongé corps et âme au cœur de cette tragédie, l’histoire la plus problématique de la médecine moderne. Il a retracé le dernier voyage de madame Lacks, de l’hôpital Johns-Hopkins au cimetière de Baltimore (Virginie) où elle repose désormais.
Déontologie médicale et propriété intellectuelle
Une scénographie subtile donne au sujet toute son ampleur. Accrochés sur les murs de gauche, des tirages de la route, de nuit. Bordures d’autoroutes, maisons, arbres, bêtes mystérieuses. Un voyage au bout de la nuit d’un noir profond et étouffant d’où surgit soudain une présence étrange, informe, d’un violet irréel : le fantôme des cellules Hela, sa mutation monstrueuse en entité plus tout à fait humaine, et pourtant bien vivante. Sur les murs de droite, l’histoire est présentée au contraire avec objectivité et rigueur scientifique. Les mutations des cellules sont reproduites sur de grands panneaux, décennie après décennie.
Un texte propose un rapprochement éclairant entre les questions de déontologie médicale du cas Lacks et celles de propriété intellectuelle, droits d’auteur et reproduction mécanisée qui sont au cœur de l’art contemporain. L’auteur confie enfin en quelques phrases, bouleversantes d’humilité, la façon dont il acheva son périple. Ce jour où il ne se sentit plus légitime, homme blanc qui comme tant d’autres avant lui, exploitait cette histoire d’une femme noire victime du système. Alors, il rebroussa chemin.
Shadi Ghadirian, Qajar, 1998. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Silk Road Gallery. / Shadi Ghadirian, Qajar, 1998. Courtesy of the artist and Silk Road Gallery.
Autre histoire tragique, l’Iran s’expose à l’église Sainte-Anne. Iran, année 38 “remet les compteurs à zéro à partir de 1979, année où débuta la révolution islamique“, expliquent les deux commissaires d’exposition, Anahita Ghabaian Etehadieh et Newsha Tavakolian. Un pays pris au piège de sa propre histoire, à l’image de cette femme en tchador noir, qui brandit un HK G31 et lève la main en signe de défi, au lendemain de la victoire de l’ayatollah Rouhollah Khomeini le 12 février 1979 (Kaveh Kazemi). Si l’exposition peine à montrer la singularité de chacun des 66 photographes exposés, on apprécie particulièrement ceux qui partent du réel pour mieux le détourner, le parodier, le critiquer. Ainsi de ce couple de jeunes mariés plantés dans la carcasse d’une voiture calcinés (Godar Dashti, Sans titre, série La vie moderne et la guerre, 2008). La section consacrée à la jeunesse iranienne émeut particulièrement. Une nouvelle génération définie comme celle des “rêveurs“ qui, impuissants face à la situation politique actuelle, préfèrent se réfugier dans leurs rêves en attendant des jours meilleurs.
Private Scenes, 1991. Avec l’aimable autorisation de Masahisa Fukase Archives / Private Scenes, 1991. Courtesy of Masahisa Fukase Archives.
Les découvertes sont parfois des redécouvertes. Ainsi de Masahisa Fukase, pour sa première rétrospective en Europe. Du maître japonais (1934-2012), on connaissait le chef-d’œuvre La Solitude des corbeaux, cette série aussi sombre, allégorique et maléfique que la nouvelle d’Edgar Allan Poe où le photographe s’identifie à l’oiseau, personnifiant ainsi son mal-être et sa solitude après que sa femme l’eut quitté. Exposées pour la première fois en Europe, des œuvres de jeunesse et surtout ses dernières séries. Il y a sa famille, révélée dans sa vérité nue, certains acceptant de se dévêtir pour lui. Il y a aussi ces clichés hilarants où Fukase sort sa langue pour aller toucher celle de malheureux volontaires souvent dégoûtés par l’opération, cousins, amis ou quidams. Des œuvres qui tiennent du miracle quand on connaît l’histoire du photographe, victime d’un grave accident en 1992 et qui demeura en soins intensifs jusqu’à sa mort. Comme quoi l’art peut, parfois, triompher de la tragédie.
Les rencontres d’Arles, jusqu’au 24 septembre
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