Actrice, elle s’est mise à nu sur scène dans Hate, ce duo avec un cheval qui interroge la relation à l’autre. Au chapitre des rencontres inattendues ou désirées, il y a eu également François Ruffin et Arnaud Desplechin.
Au théâtre, de “La maladie de la mort” à “Hate”
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Cette année j’ai beaucoup été nue. D’abord dans La Maladie de la mort, une prostituée avec un client, sur scène, filmée en gros plan (mise en scène de Katie Mitchell – ndlr). J’ai traversé ça quatre-vingts soirs, être un objet, un objet de désir, tout accepter, ne rien vouloir. A force, même si on sait que c’est pour de faux, on rentre vraiment dedans, comme si c’était vrai. Chez moi, ça a déclenché des envies de meurtre. Au bout de la cinquantième date, je ne supportais plus que mon partenaire me touche, je tremblais.
Au même moment, j’étais en promo. Il y avait toutes ces questions sur le harcèlement sexuel, on me demandait si on m’avait déjà agressée au travail. Ça ne m’est jamais arrivé, par contre, ce qui m’est arrivé, et qui est plus commun, presque anodin, je crois, c’est de ne pas dire non, se laisser faire, par paresse, pour faire plaisir, pour ne pas faire de vagues. Et surtout parce qu’on ne sait pas à quoi dire oui, avec assez de force.
La genèse du projet “Hate”
Et c’est dans cette urgence que j’ai commencé à répéter ce spectacle : construire un endroit où on cherche à quoi dire oui, inventer une forme, proposer, prendre des risques, créer les règles. Me réapproprier un corps nu, mais désirant… un cheval ! Il y avait ce besoin pressant de liberté d’expression.
Un duo d’une heure quinze, seule sur scène avec un animal en liberté, c’est une utopie. Je suis arrivée avec toutes mes envies, et j’ai essayé de tout contrôler. Mais on ne peut pas contrôler un cheval. Lorsque je lui mettais trop la pression, il s’endormait, ou il répétait le même bisou pendant des heures et des heures, il était de plus en plus inhibé, malheureux, et moi aussi.
C’est la plus grande leçon qu’on ait apprise avec Judith Zagury et Yuval Rozman, mes coéquipiers : diriger, ce n’est pas forcer, c’est accompagner, faire avec les forces en présence, être souple. Finalement, c’est vouloir que le cheval s’épanouisse, qu’il prenne des décisions, qui m’a rendue libre. En l’écoutant d’abord et puis en trouvant quoi faire avec ça. Maintenant, le cheval est auteur du spectacle à 15 %. Ce n’est pas l’égalité mais c’est pas mal.
Ça a complètement changé mon rapport à l’autre en général et à la nature aussi. Quand un cheval se roule par terre dans un théâtre, tout le monde retient son souffle. A cause de la beauté qu’il dégage. Beauté que l’on n’a pas créée, on n’y est pour rien. On a juste envie de s’incliner devant ça, de l’écouter. Pas de l’écraser, de la dominer. J’avais envie de partager ça avec le public.
“Gaspard va au mariage” d’Antony Cordier et “Nos batailles” de Guillaume Senez
Ce sont des hommes avec qui on a des relations de travail très fortes. Il y a de la confiance et ils m’ont donné des personnages de femmes très différentes l’une de l’autre, mais qui ne sont pas attendues. Ça n’est pas rien. Et il y a eu les César, où je n’ai rien eu. J’avais un super discours, parce que j’aurais été la plus vieille de toute l’histoire des espoirs si je l’avais eu, mais, d’un autre côté, j’avais des chaussures trop hautes, j’avais vraiment peur de ne pas réussir à monter sur scène.
Les rencontres
C’est une année très riche en rencontres, surtout dans le Nord, je ne peux pas tout citer. En tout cas, Judith Zagury et le cheval Corazon, parce qu’ils nous ont radicalement changés, avec mon cometteur en scène Yuval Rozman. Et puis après les films ou les spectacles, des inconnus sont venus partager des histoires très personnelles.
Et aussi des rencontres qu’on n’attend pas, des gens que j’admirais sans les connaître : Arnaud Desplechin, j’ai fait des essais très forts avec lui ; François Ruffin, qui m’a donné un très bon conseil sans le faire exprès ; Isabelle Huppert, qui m’a parlé de la violence. Et Romain Duris, parce qu’il est comme le cheval, il faut le surprendre.
Les événements marquants
Celui qui a eu le plus d’impact sur moi, c’est la démission de Nicolas Hulot. Ça a agi comme un déclencheur : depuis, je me forme et je lis, Julien Vidal, Pablo Servigne (lire pp. 34-35) et Gauthier Chapelle, Dominique Bourg, l’histoire de Loos-en-Gohelle, ce village minier en résilience écologique. On vit un moment décisif pour l’humanité. Ce n’est pas rien. J’essaye de me changer, même si c’est insuffisant. Et aussi de trouver quelles histoires il faudrait raconter dans cette période.
Les “gilets jaunes”
J’ai été très touchée par les visages et les histoires, et tout particulièrement par les récits de personnes qui ont des métiers si mal payés qu’elles doivent s’endetter ou se priver de nourriture pour finir le mois. C’est comme si on leur criait que leur métier, c’était de la merde, qu’elles étaient de la merde. Ça m’a fait descendre dans la rue. La répression du gouvernement me fait peur. Mais ce qui m’intrigue plus, c’est ce qui se prépare pour après. C’est toujours le même truc : à quoi dire oui ?
Des projets pour 2019
Je vais jouer dans une adaptation de Passion simple d’Annie Ernaux par Danielle Arbid. Une femme qui vit une passion pour un homme et qui attend beaucoup, la beauté et la folie de ça. Et après, écrire un film. J’aimerais bien faire un film populaire. Et de nouvelles rencontres !
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