Trois pièces au Festival d’Automne, un opéra, un mariage : année chargée pour le metteur en scène italien, installé à Paris depuis le mois de septembre.
La vie, cosa mentale
Même si Cesena, en Italie, reste le lieu de travail de la compagnie Socìetas Raffaello Sanzio et que j’habite à quelques kilomètres de là, dans un petit village de quatre maisons, à la montagne, j’ai passé l’année à voyager. Alors je suis toujours un étranger dans chaque ville, dans chaque pays où je me trouve. La vie que je mène est plutôt mentale, détachée. Je ne suis pas tellement exposé à la réalité. Peut-être que c’est mon problème. Je suis un esclave de la représentation, entendue comme divinité.
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Les pièces
Après avoir créé Hypérion d’Hölderlin avec les acteurs de la Schaubühne de Berlin en 2013, j’ai monté avec eux un autre texte du même auteur, Odipus der Tyrann, qui a ensuite tourné au Festival d’Automne à Paris. C’est une façon de me confronter à une autre conception du théâtre. J’aime bien me mettre à l’écoute, me laisser absorber…
L’opéra
Je suis parisien depuis le 1er septembre. Cet automne, il y a d’abord eu les répétitions de Moses und Aron de Schönberg à l’Opéra-Bastille et les trois pièces programmées au Festival d’Automne à Paris. A l’Opéra-Bastille, j’avais peur de cette énorme machine ; or, j’ai rencontré des hommes et des femmes extraordinaires. Tout le monde a été généreux et l’expérience a été très positive, même si l’on a trop peu de temps pour répéter. J’ai dû renoncer à certaines choses. Je n’ai vu le travail en entier que deux fois avant la première ! L’opéra, c’est un champ de bataille, et tu dois avoir une stratégie parce qu’il n’y a aucune marge de manœuvre. C’est un one shot, un saut dans le noir !
Le mariage de ma fille
Ah ! Cet été a été marqué par le mariage de Teodora. C’était la fête, c’était magnifique. On s’est tous retrouvés dans ma maison, ce qui nous arrive trop peu souvent maintenant, et c’était très beau, très amusant. Surtout le moment où l’on a préparé le mariage. C’est pour moi l’événement le plus important de l’année, une grande joie.
La lecture
Je lis beaucoup, c’est un de mes grands plaisirs. Cette année, j’ai surtout lu de la littérature américaine : A. B. Guthrie, John Williams et John Cheever, qui a écrit des nouvelles extraordinaires et Journals, qui m’a beaucoup frappé. Sinon, j’ai relu L’Infinie Comédie de David Foster Wallace. C’est un géant, le Dostoïevski de notre époque. Je peux dire qu’il a changé ma vie, par sa façon d’écrire, ses sujets, son approche de la vie et surtout des autres, la beauté des autres. C’est un livre très complexe, mental, géométrique. Sinon, j’ai lu Hans Blumenberg, un philosophe allemand, et Spinoza. Toutes ces lectures m’accompagnent.
Le cinéma
J’aime bien voir des films d’Hollywood, avec beaucoup d’explosions, des choses stupides ! Mais j’ai aussi été touché par Interstellar de Christopher Nolan. J’ai également découvert Libera Me d’Alain Cavalier (1993), un chef-d’œuvre qui nous plonge dans un Etat totalitaire. Ce film est une météorite, il m’a énormément marqué. En revanche, je n’ai pas eu le temps d’aller au théâtre. Quand je le peux, je suis surtout curieux de voir ce que font les nouvelles générations engagées dans ce combat.
“Le Bataclan est la première salle où j’ai montré mon travail en France”
La blessure de Paris
Ce qui s’est passé le 13 novembre m’a profondément heurté. C’est une ville dont je me sens très proche, et j’ai vécu cette blessure de Paris d’une manière presque personnelle. Comme tout le monde, j’imagine. Ce n’est pas un symbole qu’on a frappé, mais la ville, ses habitants, c’est le fait d’être vivant. Bizarrement, le Bataclan est la première salle où j’ai montré mon travail en France, en 1985, avec Santa Sofia. Mais au-delà de ça, ce sont des événements qui stoppent tout. J’ai beaucoup douté de la possibilité de présenter la performance Le Metope del Partenone à La Villette (qui met en scène des blessés dans la rue et des secouristes – ndlr). Puis, je me suis dit que la chose la plus digne à faire était de respecter ce qu’on avait décidé de montrer.
Lors d’une rencontre avec le public, j’ai été encore plus convaincu que c’était un objet qui n’a pas seulement été vu, mais vécu différemment par chaque spectateur. On a parlé du regard, de la culpabilité du regard. Quelqu’un a trouvé que la dernière scène où l’on procède au nettoyage du sol avec des machines était la plus dure. Un autre a parlé de catharsis et un autre encore de l’amnésie comme étant la véritable douleur, lorsque même la mort et l’expérience la plus atroce sont destinées à être oubliées.
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