Il a passé dix ans dans les geôles de Kabila. Aujourd’hui installé en Suède avec sa famille, l’auteur congolais a sillonné l’Europe et multiplié expériences, rencontres et projets.
Ils auront finalement eu raison, ceux qui nous avaient prédit que 2012 serait l’année de la fin du monde ! En tout cas l’année de la fin. Je veux dire celle du commencement, si tant est que la fin d’une situation corresponde, en principe, au commencement d’une autre. Ils auront eu raison, du moins en ce qui me concerne. Car après dix ans passés dans la prison de Joseph Kabila à Kinshasa, une année transitoire à Brazzaville et quelques mois pour m’installer dans le sud de la Suède, 2012 aura été marquée par un certain nombre de commencements, de rencontres, avec ce que cela comporte d’enthousiasme, de fébrilité, d’impatience, mais également de remise en cause de soi et de maladresse. Serai-je à la hauteur ? La question m’aura traversé l’esprit pendant douze mois, à chaque fois que se dessinaient les contours d’une situation nouvelle. La remise en question comme réflexe de survie.
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Ce fut l’année de l’apprentissage du suédois, langue aussi étrange qu’étrangère, malgré ses emprunts à la langue de Molière. Mes enfants qui, de leur côté, ont affermi leurs premiers pas à l’école du pays d’Alfred Nobel, ont cessé bien avant moi de se plaindre du froid, mais pas de la solitude. Ce fut aussi l’année d’une rencontre intime avec l’Europe. Ce genre de rencontre où l’on prend la mesure aussi bien du fossé qui nous sépare que des possibilités de bâtir des passerelles. Du nord de l’Europe au sud de la France: Stockholm, Göteborg, Ostende, Anvers, Bruxelles, Arlon, Metz, Dijon, Lyon, Avignon, Beauvais, Paris…
J’ai rencontré des hommes et des femmes, souvent dans l’intimité. Celle d’une famille bruxelloise, d’un petit café balayé par le mistral à deux pas du palais des Papes, celle d’une conversation autour d’un plat de moules que je mange pour la première fois en me faisant narrer le récit mythique des origines d’Anvers. Invité par l’association d’écrivains du Pen Club, j’y passe un mois en résidence d’écriture sur L’Odyssée d’un fantôme, mon dernier texte. S’il est vrai que cette année les idées de l’extrême droite y ont rencontré un écho favorable au sein de l’électorat et qu’il vaut mieux se faire discret quand on a ma couleur de peau et qu’on passe devant un café appartenant au parti de l’extrême droite, en même temps je découvre une ville ouverte, où plus de cent nationalités différentes se côtoient, loin des idées que je me faisais en arrivant.
Quand de ma table de travail je perds le fil de mes idées, je regarde au-dessus de ma tête. Et là, je ne peux pas la rater : de son portrait en noir et blanc suspendu au mur, Lieve Joris*, belle et sûre d’elle, me sourit comme pour me rassurer. A-t-elle un compte Facebook ? Moi aussi. Bonjour madame. J’ai lu un certain nombre de vos ouvrages, dont j’ai apprécié la profondeur de vue…
Je suis présentement à Anvers pour une résidence d’écriture, et votre portrait se trouve au-dessus de ma tête… Maladroitement, j’essaie d’établir le contact, pour découvrir une femme d’une grande générosité, qui me conseille un certain nombre de lectures non sans m’avoir écrit : « Toi qui apparemment aimes écrire sur des sujets compliqués. » Moi, des sujets compliqués ? Que dirait-on alors de son compatriote David Van Reybrouck qui, de mémoire, n’a jamais écrit que sur des sujets fort compliqués, comme sur l’âme des termites ?
Je rencontre donc David Van Reybrouck à Stockholm. Il venait pour la promotion de la version en suédois de son surprenant livre Congo, une histoire. David avait eu le courage de m’interviewer discrètement dans le couloir de la mort de la prison centrale de Kinshasa, pendant qu’il enquêtait pour son livre. Lorsque nous nous rencontrons à Stockholm, donnons des interviews et débattons du Congo dans une université, une rébellion de fabrication rwandaise endeuille l’est de la RDC, dans l’indifférence générale. On peut y voir une opportunité pour enfin poser les vraies questions sur les maux qui ruinent ce pays, si on veut être à la hauteur du défi. Mais…
Hollande a marqué des points où je ne l’attendais pas
L’élection de François Hollande, tout comme l’annonce des four more years de Barack Obama, m’ont enthousiasmé. Et Hollande a marqué des points où je ne l’attendais pas. Lors du sommet de la francophonie qui s’est tenu à Kinshasa en octobre, bousculant une coutume sclérosante, le président français a eu le courage de plaider pour les droits de l’homme, ce qui n’était pas pour plaire aux autorités congolaises. Est-ce la fin de la Françafrique qui s’annonce ? Mais il m’a aussi déçu, Hollande. J’espérais plus de financement pour la création artistique et les échanges dans l’espace francophone. Le candidat avait promis, le président a perdu la mémoire ! Je déchante aussi quand Barack Obama, tel un répondeur automatique, dit et redit des propos qui ne lui ressemblent pas, en soutenant Israël, ce qui est juste, mais sans la moindre compassion pour les victimes des bombardements sur Gaza.
J’arrive à Avignon pour la toute première fois, dans le but de nouer des contacts durant le Festival. Si Dieudonné Niangouna est une vieille connaissance, je rencontre pour la première fois Éva Doumbia avec qui je suis ami sur Facebook. Déjà conquis par son énergie et son enthousiasme, je n’hésite pas à lui proposer d’envisager la mise en scène de mon Odyssée. Comme toujours, il n’est pas facile de mettre la main sur le directeur d’un festival. Qu’un de mes textes ait été porté sur une scène du Festival d’Avignon en 2007 n’y change rien. Les deux rencontres avec Vincent Baudriller se font à la sauvette. Je ne m’attendais pas à plus. Première rencontre également avec Catherine Boskowitz, et des perspectives de collaboration. Perspectives aussi avec le Théâtre de Poche de Bruxelles où Roland Mahauden me reçoit à l’orée du bois dans lequel niche son théâtre : on discute des possibilités d’une coproduction entre son théâtre et le KVS, le Théâtre royal flamand, pour L’Odyssée d’un fantôme.
C’est dans un studio du KVS, justement, que je me trouve pendant que j’écris ces lignes. Car, sous la direction de Faustin Linyekula, nous recréons le spectacle Dinozord, qui s’appelle désormais Sur les traces de Dinozord. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis que j’ai rédigé Un monologue de chien il y a six ans, texte au coeur de ce spectacle, et il n’est pas question pour nous de nous inscrire dans une logique de répertoire, dixit Faustin. C’est véritablement la première fois que je monte sur une scène européenne. Et la question reste : serai-je à la hauteur ?
En octobre, Arte et TV5 Monde diffusent Adieu l’enfer, un film documentaire qui dresse mon portrait. Ma boîte Facebook explose. Beaucoup de messages de sympathie, beaucoup de questions de la part d’inconnus… je réponds à tous. Des nouvelles relations et des collaborations naissent : Patrice Nganang va publier un acte de L’Odyssée d’un fantôme dans son magazine littéraire, le même texte est mis en lecture par Dieudonné Niangouna à Brazzaville, le festival Africa Alive à Francfort et un autre à Östersund en Suède m’invitent… Et le 29 novembre, jour où l’équipe de Sur les traces de Dinozord tient sa première réunion, je suis loin de soupçonner que quelque part à New York, la Palestine vient d’accéder au statut d’État observateur à l’ONU. Malgré l’opposition d’Obama. Le début de quelque chose ?
Année des commencements et des remises en question, 2012 aura été pour moi une année riche en rencontres. Je vois un nouveau monde émerger du chaos précédent. Aussi bien en ce qui concerne mon engagement artistique, que sur la scène de la politique internationale. Quelque chose a pris fin cette année, et quelque chose d’autre a commencé à naître. Mais serons-nous à la hauteur des espoirs et des défis qui sont là devant nous ?
* Lieve Joris est une écrivaine belge qui a beaucoup écrit sur le Congo
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