La première exposition institutionnelle française d’une artiste qui renouvelle la pratique et la pensée du médium est à découvrir au Carré d’Art – musée d’Art contemporain.
Le long des murs ou tout contre les recoins, les œuvres de Nairy Baghramian claudiquent ou se cramponnent, s’alanguissent ou s’agrippent. Aucune d’elles n’ose s’avancer seule, ainsi qu’il siérait pourtant à leur condition de sculptures : leurs consœurs, d’ordinaire, se hissent sur leur piédestal, cherchent leurs adorateur·trices et rivalisent pour capter l’attention. Ici, au contraire, elles semblent mal en point : elles ne tiennent plus, semblables à des corps ivres ou peut-être blessés.
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Certes, la plupart sont solidement armaturées ou harnachées. Dans le vocabulaire de la sculptrice iranienne née en 1971 et basée à Berlin, c’est une constante : l’assemblage de matériaux en tension, voire antithétiques, donne aux pièces leur qualité prosthétique. Rien ne représente le corps, mais tout en suggère les humeurs. Il en va, au sein de chacune, de relations arpentant l’intervalle entre une violence subie et une interdépendance négociée. Ainsi, la cire calfeutre le métal, le béton lèche l’aluminium, le métal pourvoit à la résine et le verre à leur colonne vertébrale.
Un lieu englobé au devenir-organisme des œuvres
C’est une négociation, élargie à la rencontre avec un environnement, architectural ou symbolique : le lieu d’exposition est englobé au devenir-organisme des œuvres. Pour cette raison, parce qu’elle n’est pas finie, qu’elle n’a pas de contours mais se construit dans l’inter-relation, la forme échappe : nous renonçons à l’identifier comme fermée, finie, autonome.
Au fil des huit salles du Carré d’Art, le·la spectateur·trice fait irruption au sein d’un ballet mécanique et, à son tour, entre dans la danse. Pour sa première exposition en institution française, l’artiste rassemble un ensemble de pièces de la fin des années 2000 à nos jours, recontextualisées dans l’architecture quelque peu autoritaire, dira-t-elle, du bâtiment de Norman Foster – et la roideur du modernisme hétérosexuel en général.
Il y a, chez Nairy Baghramian, une irrésistible qualité comique
Alors, les sculptures sortent des salles, se jouent de la hiérarchie entre intérieur et extérieur, quand elles ne bloquent pas tout simplement le passage, introduisant à un mode de visite précautionneux, décéléré, heurté voire piégé. Parce que la chute guette les œuvres-corps comme le et la visiteur·euse de chair, il y a, chez Nairy Baghramian, une irrésistible qualité comique : la chute guette, et l’on sait l’attrait universel des vidéos du genre sur YouTube.
Cependant, au sein de cette procession de pantins, où les aveugles guident les éclopé·es, le rire est jaune. Éructé comme un bégaiement, il est profondément inquiétant. Il est de la teneur que lui assignait le philosophe Henri Bergson, “du mécanique plaqué sur du vivant”. Car la chute, c’est aussi celle d’Icare : l’être humain a beau être outillé et augmenté, il est ramené à sa condition faillible, fragile. Redescendu de son piédestal, il se découvre interdépendant. Dans les mots de l’artiste : le centre est vide, forcément connexe à la périphérie. Cela sonne comme une parabole, c’est aussi un geste d’exposition et de critique institutionnelle.
Parloir de Nairy Baghramian, jusqu’au 18 septembre, Carré d’Art – musée d’Art contemporain, Nîmes.
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