Chaque mois, retrouvez dans “Les Inrockuptibles” le meilleur des expositions à voir en France.
Recherche réseau, désespérément
Exposition en deux volets et entre deux rives, au Plateau et à Bétonsalon, le panorama de la sculptrice allemande Judith Hopf convie à une plongée dans un quotidien étrange, où l’humain déambule dans un théâtre d’objets du présent immédiat rendus à nouveau impénétrables : pommes surdimensionnées, téléphones-prothèses et nature sérialisée tissent, entre les deux sites, une communication rompue.
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On y trouve notamment ces personnages se répondant, comme autant de poupées mécaniques défectueuses, qui n’ont “plus de batterie”, litanie sérielle fournissant une entrée humoristique et doucement dérisoire à une réflexion ontologique autrement plus inquiétante, ourdie d’incommunicabilité non seulement entre les habitant·es du réel, mais également entre nature et culture, régime des objets et monde organique.
Judith Hopf. Energies, du 22 septembre au 11 décembre au Frac-Île-de-France, Le Plateau et à Bétonsalon – Centre d’art et de recherche
Les plurivers de l’art
À celles et ceux désireux·euses de scruter autrement la jeune création que par les prix et autres distinctions instituées qui jalonnent la rentrée (le 23e Prix Fondation Pernod Ricard, le 22e Prix Marcel Duchamp…), cap sur Aubervilliers. Et plus précisément, le nouvel espace fraîchement inauguré des ateliers d’artistes POUSH qui, au début de l’été, quittait sa tour de bureaux de Clichy pour investir ces nouveaux espaces : les entrepôts inoccupés d’une ancienne usine de parfumerie.
Tout comme les anciens espaces avaient déjà accueilli, l’an passé, l’exposition des artistes félicité·es de la promotion 2019 des Beaux-Arts de Paris et de l’ENSA Bourges, iels sont cette année au nombre de 35, pour l’année 2020 et 2021, à y exposer ensemble. La proposition, confiée au commissariat de l’artiste et président du jury Thomas Fougeirol, entend donner à voir par ce prisme les multiples mondes de l’art, ces milieux pluriels personnels et socio-économiques, qui façonnent la lente sortie du paradigme centralisé, globalisé et hérité de l’art. Parmi les médiums représentés, la palette est en conséquence à l’image des subjectivités multiples les travaillant : tableaux-tentures, sculptures sonores, bandes dessinées, assemblages de tissus et rebuts, ou encore parfums pimpés ou costumes à activer.
Felicita. Milieu des choses, 10 septembre au 2 octobre à POUSH, Aubervilliers. Sur inscription.
D’huile et de chrome, la peinture d’histoire rejouée
Depuis les années 2000, Kehinde Wiley s’empare de la grande peinture d’histoire, la canonique, l’occidentale également, qu’il s’approprie en magnifiant au sein des classiques du genre ses grand·es absent·es : personnages afro-américains, princiers et en majesté, au sein d’une figuration décomplexée, d’un hyperréalisme épique et d’une opulence mâtinée des codes du street wear. Né en 1977 à Los Angeles, le monde de l’art l’adule déjà lorsqu’il explose véritablement aux yeux du grand public, chargé qu’il est de réaliser le portrait de Barack Obama en 2018 – assis en costume, dévoré par un fond de verdure édénique.
Lors de la 59e Biennale d’art de Venise, la Fondation Giorgio Cini servait de cadre à sa démesure décomplexée, où l’on découvrait également une partie sculptée et moins connue de son travail : ici aussi, des gisants, chromés, rutilants comme une bagnole tunée. Le Musée d’Orsay, alors, s’imposait comme recontextualisation évidente d’une pratique élisant pour modèles les peintres français du XIXe siècle : Ingres ou Jacques-Louis David. Cet automne, trois peintures monumentales et deux nouvelles sculptures seront exposées dans la nef, autour d’une réflexion inspirée par la peinture du hollandais Hans Holbein le Jeune – la mort, la violence et l’extase rejouées.
Kehinde Wiley, du 13 septembre au 8 janvier au Musée d’Orsay à Paris.
Cris, chuchotements et forêts nordiques
Il ouvrait rénové il y a un an à peine : à Oslo, depuis octobre, le peintre de l’angoisse mutique et des tourments existentiels Edvard Munch s’est doté d’un nouvel écrin sur mesure – Le Cri y est conservé, légué par le peintre à sa mort en 1944 à la ville. À Paris, l’actualité lui rend un double hommage cette rentrée également : à Orsay, encore, avec Un poème de vie, d’amour et de mort, explorant plus largement qu’à l’aune d’un seul chef d’œuvre la dimension symboliste de son œuvre peinte et gravée, et le cycle de la vie à la fois cosmique et animiste tel qu’inspiré par les philosophes qui furent ses contemporains, Nietzsche ou Bergson.
Mais aussi, en galerie, avec, à la galerie Jérôme Poggi, un dialogue entre deux compatriotes, en regard avec la peintre Anna-Eva Bergman, que représente la galerie. Autour de trois prêts d’œuvres d’Edvard Munch provenant d’une collection privée norvégienne, le rapport à la nature s’y déploie cosmique et mystique, faisant la part belle à l’injonction de se faire voyant comme généalogie d’une autre peinture, celle qui ne se fait pas tant sur le motif que dans l’introspection d’une nuit de l’âme.
Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort, du 20 septembre au 22 janvier au Musée d’Orsay et Edvard Munch et Anna-Eva Bergman. Une cosmologie de l’art, du 17 septembre au 6 novembre à la Galerie Poggi à Paris.
Faire rhizome, plutôt que racine
En septembre dernier, entre les murs de la galerie Anne Barrault, Neïla Czermak Ichti livrait l’une des propositions de jeune artiste les plus abouties de la rentrée : ses cortèges transhistoriques d’alter ego, ses cacophonies foraines, sa tératologie gluante comme un sang d’encre ou de stylo Bic dressaient tout en finesse un univers personnel peint et dessiné aux résonances générationnelles. Et puis, pour le rituel de rentrée cette année, on la retrouvait à la galerie Art-o-Rama à Marseille, partageant le stand de la galerie Nir Altman avec le sculpteur et poète Tarek Lakhrissi – une histoire d’affinités électives, déjà.
Un an après, sa galerie parisienne renoue le fil de l’un et l’autre de ces deux contextes d’apparition de son travail. Soit une proposition collective, à l’origine de l’artiste, qui a souhaité réunir, autour d’elle et de nouvelle peintures, ses ami·es artistes venu·es lui rendre visite l’an passé : cinq artistes, une famille d’ami·es, une nouvelle scène également, réunissant autour d’elle et par échos horizontaux, Ibrahim Meïté Sikely, Luna Petit, Lassana Sarre et Flo*Souad Benaddi, entre figuration déhiérarchisée, cueillettes protectrices et vêtements-talisman.
Les amis durent, Neïla Czermak Ichti, Ibrahim Meïté Sikely, Luna Petit, Lassana Sarre, Flo*souad benaddi. Du 3 septembre au 8 octobre à la Galerie Anne Barrault, Paris.
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