Un artiste, Hoël Duret, et un metteur en scène, Tanguy Malik Bordage, ont écrit à quatre mains le récit d’une quête identitaire hallucinée, centrée autour d’une jeune parisienne afro-américaine partie à la recherche de ses racines. En Bretagne et dans le cadre de Mondes Nouveaux, ils lui donnent vie par l’entremise de trois performances au cœur de sites du tourisme de masse et du patrimoine naturel, tout en préparant également le deuxième volet : un film, prévu pour 2023.
Fin août en Bretagne, les flux de population se croisent. Pour certain·es, fini les grands espaces, retour à l’open-space. Pour une poignée d’autres, faisant le chemin inverse, c’est précisément cela qu’elles et ils quittent : les espaces réglés et rangés d’une vie urbaine préprogrammée, misant cette rentrée sur la reconversion au vert.
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Leurs périples respectifs convergeront peut-être brièvement, tombant en arrêt devant trois performances insolites dont rien ne saurait expliquer la présence. Comme orchestrateurs de ces rencontres fortuites se trouvent Hoël Duret et Tanguy Malik Bordage. Le premier est plasticien, le second metteur en scène.
S’ils œuvrent tous deux depuis le territoire breton, Mondes Nouveaux leur fournit l’occasion d’une confrontation directe aux publics – ceux que rien ne disposait à la rencontre, que le premier fléchage de l’institution n’aura pas orienté en ces lieux. Alors, le 26 août, ils prenaient leurs marques à la pointe du Van afin de proposer une performance et la première étape de leur projet, ANNE.
ANNE, ou Ulysse visitant les Cyclades du tourisme de masse
“ANNE est un personnage fictionnel, qui permet d’incarner ce qui était le moteur initial d’une écriture que nous avons entreprise à quatre mains : jeune serveuse dans une crêperie à Paris, elle plaque tout pour partir à la recherche de ses racines bretonnes”, racontent-ils depuis les premières journées de tournage et de répétition en Bretagne.
Comme arrière-plan à la narration se trouve le marketing territorial entrepris durant la pandémie : ses promesses d’un cadre de vie idyllique, à destination de Francilien·nes éreinté·es en quête d’un ailleurs où se projeter, infusé de papier glacé et d’horizons radieux. “ANNE parle très peu. Elle erre, absorbe les rencontres, traverse le territoire. Cela serait un peu comme Ulysse visitant les Cyclades, à ceci près qu’il faudrait payer pour aller voir les sirènes.”
Au total, des performances, il y en a trois, d’une durée de cinq heures. Après la pointe du Van (le 26 août) et la pointe du Raz (le 2 septembre), le périple la conduira, ainsi qu’une équipe de quinze personnes, au domaine du Dourven (10 septembre). Chacune sera filmée, puis augmentée de scènes complémentaires pour venir nourrir un film dont la diffusion est prévue pour l’an prochain.
En arrière-plan, la Bretagne
À la Pointe du Van, ANNE rencontre la tribu des Coasters, soit une bande de marginaux qui rôdent l’été près des parkings de sites touristiques et pillent les épaves de voitures. “Il y a plein d’éléments contextuels en arrière-plan, ici en relation aux communautés autonomes qui subsistent en Bretagne, des premiers hippies tendance Larzac aux expérimentations sur le LSD, jusqu’aux fermes rachetées par des familles pour y élever ensemble leurs enfants.”
Par la suite, il s’agira également d’aborder la situation immobilière extrêmement tendue, liant les débats de société qui traversent le territoire de manière contextuelle à la quête identitaire du personnage. “Nous voulions flouter les grands débats identitaires du moment, car l’actrice qui incarne ANNE est une chanteuse d’un groupe de rock qui est noire. C’est une afro-américaine. Or Anne, en Bretagne, renvoie spontanément à Anne de Bretagne, et en arrière-plan se trouve la mythologie politique bretonne d’une ville portuaire ayant amené la mixité sociale et culturelle.”
Sortir l’artiste de sa tour d’ivoire à tout prix, vaisseau spatial-menhir compris
La veine d’une narration picaresque, dont la veine d’anticipation loufoque se raccorde aux débats sociétaux par le prisme d’une perte de sens intime de personnages délié⸱es des grands récits fédérateurs, traverse le travail personnel de Hoël Duret. C’est également elle qui, déjà, infusait la première collaboration entre ce dernier et Tanguy Malik Bordage.
Au Palais de Tokyo en avril 2019, dans le cadre du Festival Do Disturb, ils proposaient ensemble LIFE IS OLD THERE : une première performance scriptée de trois jours, autour d’un personnage échoué dans une nature qui, de cadre idyllique, se transforme en univers terrifiant d’une déconnexion subie. “Nous étions déjà intervenus l’un sur l’autre dans nos projets respectifs : Tanguy a joué dans plusieurs mes vidéos, et j’ai réalisé une scénographie pour l’une de ses pièces, détaille Hoël Duret. Avec la performance, nous étions tous deux dans un terrain qui n’était pas le nôtre.”
Une confrontation au réel
Mondes Nouveaux prolonge le travail, tout en augmentant les moyens de production. Le contexte, cependant, change la donne. “L’injonction à aller dans des endroits où le public ne vient pas chercher de la création, mais du patrimoine culturel ou naturel, crée une vraie interrogation sur le rapport aux publics, et sur ce qu’ils ont l’habitude de recevoir en ces lieux.”
Pour Tanguy Malik Bordage, “il y a un dosage subtil à trouver, puisqu’il s’agit d’éviter de vouloir à tout prix divertir le public, tout en sortant l’artiste de sa tour d’ivoire étanche.” Et de poursuivre : “Sur la place publique, il y a toujours quelque chose qui se confronte au réel, quand bien même il n’y a pas d’interaction directe dans nos performances.” La trame narrative elle-même aura dû évoluer et être réécrites au fil de la recherche de lieux : aucun de ceux prévus, associés à des sites patrimoniaux ou du littoral, n’auront été ceux qui, aujourd’hui, accueilleront les performances.
Encore en cours de construction se trouve également un vaisseau spatial-menhir. “Au fil du récit, la quête de sens et d’identité du personnage n’a pas trouvé d’issue. Son ultime rencontre sera avec des extraterrestres. Eux aussi auraient déboulé en Bretagne : s’y sentent-ils bien ? Ont-ils envie d’acheter ? À la fin, ils partent tous ensemble vivre sur un voilier et partent vivre en pleine mer.”
Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Mondes nouveaux, le programme de soutien à la jeune création du ministère de la Culture.
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