Une exposition propose une immersion revigorante dans les images libérées des cinq derniers films de Jean-Luc Godard.
C’est entendu : Jean-Luc Godard était un DJ, mélangeant sons, musiques, images neuves ou d’archives selon son bon vouloir, sa propre musique. Ni exposition, ni installation, de l’aveu même de ses auteurs, la projection libre, dans les locaux de la Ménagerie de verre, des cinq derniers longs-métrages du génial cinéaste franco-suisse, disparu en septembre dernier, est une expérience unique et salvatrice : un air régénérant, qui redonne vie aux images mais aussi aux spectateur·trices qui portent encore le deuil de JLG.
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Éloge de l’amour, Notre musique, Film Socialisme, Adieu au langage, Le Livre d’image, sont ainsi reprojetés, recomposés, remontés, remixés sur des supports multiples, multipliés, même, au sens propre, quand les mêmes images sont montrées trois, quatre ou cinq fois dans la même salle, juxtaposées, sur des supports de toute sorte, y compris dans les miroirs de salles de répétition de danse.
Surimpression, décalage et randomisation
Les visiteur·trices se retrouvent en immersion dans du cinéma de Godard, et ce n’est, ma foi, pas désagréable du tout. Le clou de la visite étant la dernière salle, celle des spectacles, habituellement, où Le Livre d’Image semble feuilleté par des écrans translumineux, parfois posés en quinconce.
Jardin de haies, surimpression des séquences, décalage, randomisation du passage des extraits. Les visiteur·trices suivant·es s’intercalent entre les différents plans, devenant partie reprenante du processus, ombres vivantes au milieu du spectacle “mort” (dans le sens ou on l’opposerait au spectacle dit vivant) qu’est le cinéma.
Difficile de s’extirper facilement de ce spectacle, de cette symphonie grandiose, fascinante, paralysante presque. On y resterait bien des heures, dans ce bain revigorant. “Encore quelques minutes, monsieur le bourreau”, aurait crié, selon la légende, Mme du Barry à son bourreau, avant d’être guillotinée.
Car, dans ce spectacle qui nous rappelle qu’en chinois, le cinéma se dit “ombres électriques”, il y aussi des images, qui, à force d’être filtrées par des écrans en tissu, inspirent une idée de la mort.
Notamment, celles tirées de La Ronde de Max Ophuls, de cet homme en frac, portant un masque qui le fige dans un sourire, et qui est entraîné dans une farandole. À travers les écrans, au loin, ce jouisseur dansant sans musique, dans un noir et blanc outragé, surpexposé, ressemble à ce qu’on imagine être les dernières images qu’un·e moribond·e pourrait voir du monde dans ses derniers instants : des ombres, des tâches mouvantes et muettes.
Éloge de l’image de Fabrice Aragno et Jean-Paul Battaggia, jusqu’au 18 décembre 2022, du mercredi au dimanche de 18h à 22h, à la Ménagerie de verre (Paris).
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