À Bordeaux, “Antéfutur” invente d’autres récits contre la paralysie d’une fin annoncée où les animaux s’envoient des sms tragi-comiques et la tuyauterie mute en squelettes coquet·tes
Cela aurait pu être une exposition générationnelle. Celle d’une vingtaine d’artistes internationaux, grandis au sein de cette décennie où l’espoir de réinventer les lignes de formes s’est lentement englué. Jusqu’à parvenir à cette mise en arrêt perçue, mais surtout appuyée de représentations, ces films, images et récits post-apocalyptiques qui tissent quelque chose comme la texture des années 2020.
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Au CAPC à Bordeaux, l’exposition Antéfutur part du constat d’un esprit d’époque mais ne s’y arrête pas pour autant. Elle formule “l’hypothèse que d’autres scénarios sont possibles” pour mieux l’inscrire au cœur du sensible et parier sur l’invention malgré tout. Ces artistes-là ont de quoi faire bifurquer la flèche inexorable de la catastrophe programmée.
Alors, ils et elles louvoient entre les lignes et les cadres. Le passé court-circuite le futur pour parier sur la démultiplication des possibles. Par tous les médiums et sans en élire aucun, ils et elles font advenir la spéculation serpentine, l’affabulation douce et la création de mondes. Comme une manière de rester en mouvement et en création, c’est-à-dire également : de danser sur la crête du volcan.
La hotline des oracles
Précisément, parce que les scénarios des humain·es peinent à se décoller de l’hyperbole, que les scripts s’emballent vers le pire, alors les récits que portent l’exposition proviennent en grande partie d’une communication inter-espèces. À l’instar de de la vidéo de Basim Magdy, l’une des premières œuvres d’un parcours distillé de sorte à laisser de la place à chacune.
Avec New Acid (2019), l’artiste laisse parler, par bulles de messagerie interposées, les animaux de différents zoos : prisonniers d’une structure de contention qui les dépasse, leurs échanges sont pourtant étonnamment banaux, s’attachent à la tragi-comédie de l’ordinaire, petites joies, infimes actes d’exclusion – une humanité sans humains, loin de la grandiloquence de ces-derniers.
Non loin, et comme en écho, Cooper Jacoby incruste au sein de panneaux thermosensibles des thermostats : rudimentaires, légèrement vintage, leur écran est programmé par l’intelligence artificielle ChatGPT-2. C’est elle désormais qui, nourrie par l’artiste de romans d’anticipation, d’Octavia Butler à Ursula K. Le Guin, génère à l’infini une série d’aphorismes élégiaques et mélancoliques à la fois.
Comment faire soupirer une pipeline ?
L’exposition représente peu de corps, peu d’identités, pour mieux laisser ouverts les possibles d’en réinventer mille autres. Un autre point de fuite qui relie certaines propositions concerne l’approche des infrastructures : comme les récits, ces réseaux tour à tour matériels (tuyaux, tunnels, transports) et immatériels (Cloud, Wifi, applications) sont eux aussi des embrayeurs de fictions.
Filant avec souplesse le long des cimaises, Lou Masduraud prolonge et amplifie ses installations venant évider, ramollir, queeriser ou empailleter les infrastructures urbaines : la série en cours de ses Cabinets de contorsion deviennent des squelettes, parés de cols cravates et de plumes d’autruche.
Plus loin, c’est encore Agnes Scherer, dont la vaste installation Cœurs simples (2022) déploie le théâtre arachnéen des communications contemporaines. Suggérés, les corps de deux freelancers du secteur culturel disparaissent sous l’avalanche câblée de mails annonçant par l’entremise du langage d’une cordialité codifiée climatisée, ici une baisse budget, là des retards de production.
Antéfutur, jusqu’au 3 septembre au CAPC – Musée d’art contemporain de Bordeaux
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