Pensée comme un écosystème en mutation constante, cette exposition collective présente des œuvres qui évoluent au contact les unes des autres et de leur environnement. Un panorama commun qui intensifie la création.
Pour laisser la vie à elle-même, il aura d’abord fallu la rendre. Désapprendre, par un effort commun, les réflexes instinctifs pour sa préservation et, d’une certaine manière, sa momification. L’expression, choisie pour nommer la proposition collective de sept artistes réuni·es au Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière, désigne alors, tout autant qu’une situation inscrite dans un espace-temps, quelque chose comme un état d’esprit : un abandon joyeux des rêves de maîtrise de l’humain sur son milieu.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Au fil des trois mois de l’exposition, les œuvres d’Isabelle Andriessen, Bianca Bondi, Dora Budor, Tiphaine Calmettes, Grégory Chatonsky, Rochelle Goldberg et Laure Vigna seront amenées à évoluer et à se modifier. Elles changeront de forme, de couleur et d’odeur en fonction des paramètres de leur environnement, et en fonction de leurs interactions chimiques et bactériologiques. Plutôt que d’un abandon joyeux, il s’agit précisément d’une intensification créatrice. Invité·es par la curatrice Flora Katz, les artistes ont produit ensemble un écosystème, dont chacun des organismes – les œuvres – a été scrupuleusement devisé pour être le moins achevé possible : aimanté vers autre chose que lui-même et d’emblée tourné vers la relation.
Ici, la nature est d’emblée contaminée, mêlée à parts égales d’organique et de synthétique
La première salle rend compte du processus commun, ensuite décliné en plus petits ensembles. Sous la voûte boisée d’Aldo Rossi, des îlots se répandent plutôt qu’ils n’occupent l’espace. Il n’y a pas d’élévations, ou si peu. Pas de socles, mais des “hôtes” : ces modules-fontaines en terre crue et paille, vestiges de la précédente exposition de Tiphaine Calmettes, désormais transformés en substrat nutritif pour les pains lardés de pièces de monnaie en cuivre de Rochelle Goldberg ou les peaux sans organes en bioplastique de Laure Vigna. Il y a encore la mer de sel s’épanchant des vestiges ruinesques de Bianca Bondi ou, plus loin, les concrétions entubées et suintantes d’Isabelle Andriessen. Un premier panorama se dessine : ici, la nature est d’emblée contaminée, mêlée à parts égales d’organique et de synthétique.
Cette nature est, pour nous, vivants du capitalocène, celle qu’il nous faut concevoir comme ordinaire. Inscrite dans le cadre de l’exposition, elle ne devient pas pOur autant préservée ou pastorale, telle qu’elle aurait dû, pour exister, être fantasmée ou fabriquée de toutes pièces. Elle n’est pas non plus entièrement modifiée ou modelée selon les desseins d’un rêve de maîtrise prométhéen.
Échange de flux et de souffles
Une certaine humilité, ou peut-être un réalisme, teinte l’ensemble, où l’on mesure l’écart avec la manière de se rapporter à la nature qui eut cours au sein de la décennie précédente. Il ne s’agit déjà plus de la changer, au sens où le Manifeste Xénoféministe avait pu le proclamer, en 2015 : “Si la nature est injuste, changeons la nature.” Plutôt, face à cette nature changée, de l’aider à se déployer. Telle serait la place qui se dessine pour les artistes, qui, une fois leur œuvre installée, deviennent, tout autant que nous autres, les témoins participant d’un échange de flux et de souffles, de contaminations et d’interactions aux résultats aléatoires.
Pour la curatrice, il en va d’une autre manière de recevoir les œuvres : parce qu’elles sont des organismes à part entière, elles incitent à la rencontre d’une altérité, venant étendre l’impératif éthique aux non-humains. Au sein du panorama cependant, un ultime corpus d’œuvres de Grégory Chatonsky modère et déplace l’approche : au second étage, une installation place en vis-à-vis la génération à l’écran de formes naturelles par une intelligence artificielle nourrie de planches d’encyclopédies du XIXe siècle, et leur description vacillante en temps réel par une voix elle-même alimentée des écrits de la même période.
Le caractère historique de toute perception, collectivement conditionnée par les paradigmes du savoir en vigueur, fait alors son retour au sein d’un panorama qui, autrement, court toujours le risque d’un certain relativisme : s’il faut recevoir toute œuvre-organisme pareillement, en faisant primer la qualité de dialogue avec elle, alors chacune se vaut. Tout en invitant à un exercice de renversement perceptif, La Vie à elle-même préfère pour l’instant changer la nature de l’œuvre regardée plutôt que de s’attaquer à changer les biais cognitifs de l’humain qui regarde – le problème est posé, mais sa résolution, elle, reste en cela peut-être encore escamotée ou du moins décalée.
La Vie à elle-même jusqu’au 5 septembre, Centre international d’art et du paysage, île de Vassivière, Beaumont-du-Lac
{"type":"Banniere-Basse"}