La destruction de la ferme des « 100 noms » a fait basculer la Zad de Notre-Dame-des-Landes dans une violence inédite. Reportage dans la forêt des larmes, au milieu des flammes et des lourdes explosions.
En zone de guerre, l’art de la négociation est primordial. Mais sans laissez-passer, impossible d’emprunter la fameuse départementale 281 qui traverse la Zad de NDDL. 2 500 gendarmes se servent en effet de cet axe pour de très théoriques opérations d’expulsion des zadistes les plus réfractaires. Des actions consistant surtout en réalité à détruire à coups de pelleteuses des édifices et cabanes faites de bric et de broc et à faire régner une atmosphère apocalyptique sur une bucolique zone humide.
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À défaut de pouvoir emprunter la fameuse route, il faut donc louvoyer, enjamber un ou deux barbelés, tester l’étanchéité de ses bottes dans des flaques grumeleuses pour dégoter un chemin de traverse. Qui permet de s’enfoncer dans la ZAD. En avançant sur de boueux sentiers, très vite, des déflagrations sourdes, de véritables coups de canons ponctués de clameurs se font entendre. Installant une atmosphère tout en tension. Au bout d’un chemin, au loin, deux silhouettes. Leur casque bleu renseigne vite sur la nature de la faune. On bifurque donc encore une fois. Mais au bout d’un moment, impossible d’éviter les gendarmes mobiles. On finit par se retrouver escorté, poliment mais fermement, par un groupe de gladiateurs au heaume de kevlar.
Vietcong
Puis, sur la route, entouré d’un pack de militaires, dont certains rechargent nerveusement leur canon individuel à projectiles Cougar, on aperçoit le fameux blindé de la gendarmerie VBRG avec son lance-grenades lacrymogènes et sa mitrailleuse. Un gradé déclare gentiment qu’on « gène la manœuvre » et on doit faire demi-tour sur le sentier de la gloire.
Commence alors une dérive vers l’est. Toujours aucune trace visuelle des habitants de la ZAD. Même si dans ce paysage de haies et de roselières, on se sent comme épié, surveillé. C’est pourtant le bruit de l’hélicoptère de la gendarmerie qui oblige à adopter des réflexes de Vietcong pour s’arrêter à couvert et incliner sa nuque sous les frondaisons.
Soudain, une petite silhouette féminine, sorte de fée des marais nerveuse et enjouée camouflée pour l’embuscade apparaît au bout d’un champ pour aider à s’orienter. « Ici c’est l’est de la ZAD, il n’y a pas de gendarmes« , formule-t-elle crânement. Mais de fait, les militaires sont en train de refluer momentanément du secteur. Un groupe de zadistes guérilleros, armé d’une caissette de projectiles, s’est posté un peu plus loin et observe les ultimes mouvements du peloton de gendarmerie. « C’est important de leur faire peur à cette heure-ci, c’est le moment où certains pourraient très bien se paumer et se retrouver seuls« , observe l’un d’eux.
En dehors de ces rares accalmies, les militaires saturent brutalement le terrain. La végétation et les poumons sont comme brûlés par le gaz lacrymogène, qui forme un brouillard un peu irréel.
Des monceaux de capsules de gaz usagées polluent déjà les fossés. Et les détonations qui ravagent l’espace sonore sont majoritairement le fait des grenades assourdissantes GLI F4 à embout jaune, avec des charges en TNT qui en font les projectiles les plus dangereux du moment. Même si un gradé de la gendarmerie signale aussi l’utilisation de bombes agricoles côté zadistes.
Des zadistes qui ont répliqué farouchement à cet envahissement de leur territoire par les forces armées : cocktails molotov dès les premiers instants, « bombes » bactériologiques à excréments et même un impressionnant trébuchet destiné à protéger le havre « en dur » des « Fosses noires ».
Le mécanisme de la catapulte est tendu pour envoyer des projectiles (on aperçoit des pierres, des bouteilles, certaines méchées), à pleine puissance au-dessus d’une barricade enflammée sur un groupe de gendarmes, un peu plus loin. L’appareillage est contrôlé par un groupe d’activistes masqués aux accents étrangers. « Ne les prends pas en photos, ils viennent d’un peu partout en Europe, ils savent qu’ils sont fichés par les services de renseignement mais ils ne veulent pas être tracés« , explique un des quelques Français qui s’activent près de l’appareil. Dans un tas de décombres, un jeune homme vient de trouver une chaîne avec un crochet, qu’il soupèse.
Il vient, lui, de Bretagne, de la région vannetaise. « On doit faire converger la cause zadiste avec celle des indépendantistes bretons« , explique-t-il. « Après tout, certains de nos camarades ont été prêts à donner leur vie pour le Rojava. » Un peu plus loin, c’est une Nantaise aux yeux striés par les vagues de gaz, qui récupère en mangeant un kiwi, pendant que sur la ligne de front voisine, certains renvoient les grenades à la raquette, d’autres tentant même, équipés de boucliers, de brefs assaut vers les gendarmes. Opérations qui se soldent en général par des explosions et des sifflements dans les oreilles.
Comment la ZAD a-t-elle basculé dans cette violence abrutissante ? Tout s’est joué dès le premier jour des opérations, avec l’épisode des « 100 Noms« .
C’est la destruction de ce petit hameau de cabanes et de sa bergerie qui a totalement crispé la communauté zadiste. « En l’état, les négociations sont toutes rompues », déclare d’ailleurs Corentin, trentenaire impliqué dans le projet collectif des « 100 Noms ». « Nous n’accepterons de nous remettre à discuter avec les pouvoirs publics qu’à la seule condition que les interventions policières cessent. » Pourquoi un projet agricole et artisanal impliquant une quinzaine de personnes a-t-il d’emblée été saccagé au mépris des animaux d’élevage qui pouvaient encore se trouver dans la bergerie ?
Manque de discernement de l’Etat ou volonté de faire monter d’emblée le curseur de la violence pour épuiser l’adversaire ? La préfète Nicole Klein explique dans Ouest-France que « la règle du jeu avait été pourtant clairement définie« , soulignant qu' »un projet collectif a été présenté aux ‘100 Noms’, mais aucun projet individuel« . Corentin souligne de son côté la complexité du dossier des « 100 Noms », entre négociations avec un agriculteur se préparant à partir à la retraite et superposition d’usages très différents concernant les bâtiments, de l’habitat collectif à l’autonomie alimentaire en passant par l’artisanat.
« On nous a demandé de formuler en deux mois ce qui en temps normal prend un an », résume l’agriculteur. « Nous souhaitions une convention d’occupation précaire avec des statuts individuels ou collectifs, ça a pu exister au Larzac avant d’aboutir à un bail emphytéotique. »
Une perspective refusée par Philippe Grosvalet le président du conseil départemental, qui n’aura pas sur ce point à se plaindre de l’action de l’Etat. Mais comme souvent dans tout ce qui a trait à Notre-Dame-des-Landes (c’est après tout cette formule qui a permis de venir à bout du projet d’aéroport), un front juridique vient de s’ouvrir en simultané des luttes de terrain. Un terrain qui continue de s’enflammer, avec des dizaines de blessés parfois graves, y compris chez les forces de l’ordre, régulièrement du fait de la propre dangerosité de leurs armes. Mais la ZAD commence aussi à accumuler les stigmates de cette brusque occupation au rouleau compresseur. Un adversaire acculé peut être très dangereux.
Désormais, tout le monde attend donc avec fébrilité la fin des opérations annoncée au terme d’une semaine de destructions. Cependant, la guerre-éclair a ceci de particulier qu’elle n’est jamais totale. Et certaines des cabanes les plus baroques et inaccessibles resteront debout au fond des bois avec leur lot de secrets.
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