Tous les mois, Les Inrockuptibles vous proposent de découvrir un·e youtubeur·se que vous ne connaissez (peut-être) pas encore. Aujourd’hui, Valentine, alias Val Och, qui partage, sur sa chaîne YouTube, sa passion pour le théâtre et combat les idées reçues de cet art que beaucoup estiment, à tort, ne pas être fait pour eux.
“La tristesse. La tristesse.” Le 23 juin au soir, Valentine, chargée de production et de communication pour une société de production, désespère devant son écran. Elle assiste, consternée, à la 32e cérémonie des Molières, qui récompensaient, dans un contexte post-épidémie, la crème de la scène théâtrale actuelle. “Ils affirment vouloir brasser un plus large public, et faire vivre de nouveau le spectacle vivant, explique aux Inrockuptibles la jeune femme de 24 ans. Mais tout était mou, vieux, c’était monté comme un bêtisier de Noël. Je ne vois pas comment ce genre de soirée pourrait donner envie aux gens, et en particulier aux jeunes, d’aller au théâtre. C’est un vrai entre soi, et c’est vraiment dommage.”
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Donner envie aux gens d’aller au théâtre, c’est justement tout le propos de sa chaîne YouTube, lancée en 2017 et intitulée Val Och. Mais aujourd’hui elle consacre sa vie professionnelle et virtuelle à la défense de la scène, sa passion pour le spectacle vivant n’a pas toujours été une évidence.
“J’ai détesté le théâtre jusqu’au lycée”
“J’ai détesté le théâtre jusqu’au lycée. Car, quand on te l’enseigne en cours, c’est très vieillot comme approche. On te propose rarement d’aller au théâtre, et on te fait étudier souvent du Racine ou du Corneille, et au mieux du Molière, qui est un peu plus léger.” Sa relation évoluera pourtant grâce à sa passion de longue date pour la danse. Elle découvre les spectacles musicaux en pleine explosion de Mozart, l’opéra rock qui, au début des années 2010, et à grand renfort de marketing télévisuel, part à la conquête des foules. “J’ai adoré, et je me suis prise de passion pour le spectacle musical et plus tard pour les comédies musicales.” Sa mère, y voyant une opportunité à saisir, l’emmène, dans les salles de théâtre. “Elle me disait que ça allait me servir pour le bac de Français, se souvient Valentine, amusée par la détermination de sa mère. Et à force de me traîner dans les petits théâtres, pour voir des petites pièces, j’ai vraiment développé un goût pour cette culture-là. Et c’est vraiment cette approche que j’ai revendiquée en débutant ma chaîne.”
Car en parallèle de ses études, qu’elle réalise à Paris avec une licence en médiation culturelle puis un master de recherche en théâtre, Valentine s’intéresse plus particulièrement au concept de transmission, à cette idée de partager auprès d’un plus large public des œuvres et des mises en scène souvent trop peu médiatisées. Consommatrice régulière de vidéos YouTube à l’époque, c’est en découvrant les vidéos de vulgarisation, et en rencontrant quelques-unes des premières vedettes du genre, qu’elle décide de se lancer. “J’aimais beaucoup les vidéos de Laurine Sassano, qui conseillait des séries qu’elle aimait vraiment, se souvient Valentine. Et j’ai compris que, pour donner envie aux gens d’aller au théâtre, il fallait vraiment parler des pièces que je considérais comme des coups de cœur, et qu’elles soient accessibles au plus grand nombre.”
Vidéo https://www.youtube.com/watch?v=rpLA3CK-5rI
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Démystifier le théâtre snobe
Loin des critiques parfois acerbes et moqueuses de certains vidéastes spécialisés dans le cinéma, Valentine développe son argumentaire avec enthousiasme, déterminée à convaincre chacun de ses abonnés qu’il peut franchir sans crainte les portes, parfois impressionnantes, des salles de spectacles. Loin des cérémonies élitistes et ronflantes, et qu’il s’agisse d’une version inattendue de L’Odyssée ou du spectacle-concert touchant Une vie sur mesure, son discours est précisément calibré pour YouTube et son jeune public.
Ce n’est pas un hasard si elle invite régulièrement d’autres vidéastes à venir voir une pièce avec elle pour en discuter ensuite face caméra. “Ce format, c’est un moyen pour ces vidéastes, qui pour certain·es ne sont jamais allé·es voir une pièce, de dire à leurs abonné·es : ‘Je suis allé·e au théâtre, pourquoi pas vous ?’”
Pour autant, Valentine a bien conscience des freins qui demeurent aujourd’hui encore : l’image parfois snobe du milieu (peu aidée par Les Molières), l’avalanche de pièces jouées en même temps à Paris (plusieurs centaines parfois), la difficulté d’accéder à des représentations loin des grandes villes, ou tout simplement le prix de la place. Car s’il existe des tarifs jeunes, l’idée de dépenser plusieurs dizaines d’euros devient vite décourageante pour de nombreux·ses spectateur·ices potentiel·les.
C’est pour cela que Val Och a consacré une vidéo entière à ce sujet. Tout en comprenant les critiques, elle rappelle l’importance des coûts de réalisation et de mise en place d’une représentation : location de la salle, salaire de ses employés, des techniciens, des comédiens, des accessoires (à renouveler parfois à chaque représentation), des décors, des droits, mais aussi les répétitions, le logement… En prenant l’exemple d’une représentation du festival Off d’Avignon, elle estime qu’il faudrait vendre chaque place d’un seul en scène au moins 16 euros pour être rentable. “Personne ne paie 16 euros pour aller voir un seul en scène à Avignon, commente-t-elle. On paie, maximum, en tarif plein, 14 euros. Notre moitié de salle ne paie même pas le fait de faire une représentation de seul en scène dans une salle de 100 places.”
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Le off d’un milieu en crise
Entre les lignes de cette vidéo, Val Och souligne un problème bien plus profond : celui du financement même des spectacles et de ceux qui les font, à Avignon et en dehors. “Lors de ma première année au Festival d’Avignon, j’ai trouvé ça incroyable. Il y avait une effervescence dingue. Mais je n’avais vu que la surface, en tant que spectatrice. L’année d’après, j’y suis retournée pour ma chaîne et pour le travail, et j’ai découvert l’envers du décor. Le coût des salles, les compétitions entre les spectacles, les conditions difficiles de représentation, le public parfois absent…” Pour sensibiliser les spectateur·ices, elle réalise alors une vidéo sur le “off sur Off” où plusieurs représentants de compagnies théâtrales témoignent des mêmes difficultés, et d’un désintérêt global des pouvoirs publics pour le financement du spectacle vivant. “Dans cette vidéo, je parle des Sentinelles, qui est une fédération qui lutte pour les droits des compagnies dans le Off, et ils étaient vraiment contents que l’on puisse parler de ce sujet, en plus sur YouTube et auprès d’un public jeune.”
Une sensibilisation aujourd’hui plus essentielle que jamais, alors que la France se relève timidement de l’épidémie de Covid-19. Si les théâtres peuvent rouvrir depuis le 2 juin en province et le 22 en Ile-de-France, et que la jauge de limitation des 50 % a été levée, le spectacle vivant déplore deux milliards d’euros de perte et de nombreux directeurs de théâtres préfèrent garder leurs portes fermées pour l’été. Le gouvernement a beau avoir annoncé le prolongement des droits au chômage pour les intermittent·es jusqu’au 31 août 2021, ses annonces déçoivent et ne font que souligner, selon de nombreux professionnels, le manque de considération grandissant pour le monde de la culture.
“C’est la merde, c’est la merde pour absolument tout le monde, déplore Valentine. Personne n’est protégé. Tout le monde attend de voir comment les prochains mois vont se dérouler.” En attendant de meilleurs jours et la réouverture des salles, la jeune femme compte bien développer de nouvelles vidéos documentaires sur sa chaîne, continuer à valoriser le sixième art et défendre ceux qui le gardent vivant.
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