Tous les mois, Les Inrocks vous proposent de découvrir un·e youtubeur·se que vous ne connaissez (peut-être) pas encore. En ouvrant les cartons poussiéreux de notre enfance, MrMeeea porte un regard neuf sur les films, les jeux vidéo et les séries qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ont encore beaucoup de choses à raconter.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, le film Contagion, de Steven Soderbergh, trouve un regain d’intérêt phénoménal autour du monde, neuf ans après sa sortie. Plus largement, les films catastrophes, semblent être particulièrement appréciés par une large partie de la population. Ce n’est pas le cas de Damien, plus connu sur YouTube sous le nom de MrMeeea. “Je ne comprends pas pourquoi les gens regardent ces films-là en ce moment, explique-t-il aux Inrocks. Moi c’est l’inverse, quand je ne vais pas bien, je remate des films de mon enfance. Même s’ils ont mal vieilli, c’est réconfortant.” Ces madeleines, il en a même fait la spécialité de sa chaîne, où il revisite et déconstruit les classiques de sa génération, le second Batman de Tim Burton, la série Alf, les jeux Lucasarts, ou ce mois-ci le Hook de Spielberg.
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YouTube pour continuer à écrire
Comme un certain nombre de ses collègues vidéastes spécialisés, Damien a étudié le cinéma, en l’occurrence à la fac avec un master de recherche cinéma. Mais s’il a commencé sa carrière professionnelle dans le milieu, en tant que stagiaire chez CinéCinéma d’abord, puis comme journaliste et critique pour DVDrama, c’est en s’en écartant qu’il démarre sur YouTube. “DVDrama, qui avait été racheté par TF1 et n’existe plus aujourd’hui, ne proposait plus vraiment de piges, voire plus du tout, et j’ai commencé en parallèle un boulot de téléopérateur pour tenir le coup financièrement. Mais je ne faisais plus le travail intellectuel qui me plaisait, il fallait que je trouve une façon de continuer à écrire.” Nous sommes alors au début des années 2010, et sur YouTube, le Joueur du Grenier l’inspire avec son approche différente des jeux vidéo. “A cette époque, c’était surtout des vidéos de let’s play [où l’on regarde un vidéaste jouer, ndlr], il n’y avait pas forcément ce format face caméra, avec des anecdotes, comme le faisait le Joueur du Grenier. De mon côté, j’aimais beaucoup l’idée de raconter les petites histoires derrière les œuvres, mais comme j’avais très peur des problèmes de droits d’auteur sur l’utilisation d’images de films, et comme je me remettais aux jeux à l’époque, j’ai commencé avec ça.”
Sauf que, contrairement au Joueur du Grenier, qui parlait essentiellement des mauvais jeux, Damien décide de raconter la construction des bons jeux, ou du moins de ceux qui ont marqué sa génération, celle qui a grandi dans les années 1990. Il consacre donc de longues analyses aux jeux Astérix, Batman, Spider-Man, aux classiques de Lucasarts ou à l’indémodable Bande à Picsou. Et creuse déjà ce qui deviendra la ligne éditoriale de sa chaîne : la nostalgie.
Quatre mois de travail pour décortiquer “Hook”
Avec les années, là encore comme de nombreux autres vidéastes, MrMeeea expérimente d’autres formats, sur d’autres sujets : des vlogs en festival, des parties de jeux de plateau, des interviews… Mais très vite, le cinéma et la télévision le rattrapent et il lance “Les Chroniques de Mea”, consacrées principalement aux œuvres marquantes des années 1980 et 1990. “J’aime cette époque par nostalgie, bien sûr, mais aussi par ce qu’on allait vers une nouvelle époque en termes d’effets spéciaux, avec l’arrivée du numérique. Et puis, c’était avant le 11 septembre 2001, il y avait encore un optimisme très intéressant, je trouve. Il y a beaucoup de choses à raconter sur cette époque.”
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En effet, il suffit de regarder la liste des sources de ses chroniques pour se rendre compte du travail abattu à chaque réalisation. Articles de presse, documentaires retrouvés sur YouTube ou Vimeo, archives de l’INA, biographies de réalisateurs, vieux magazines commandés sur eBay, et parfois même interviews de scénaristes… Damien ne laisse rien au hasard. “Je regarde pas mal de vidéos types ‘Dix choses que vous ne saviez pas sur…’ afin d’être sûr de ne pas répéter des choses qu’on connaît déjà. Parfois, en travaillant, je comprends que certaines de ces anecdotes peuvent aussi être erronées, comme la rumeur sur David Bowie dans Hook, par exemple. J’essaye vraiment de démêler le vrai du faux sur ces films, qui traînent beaucoup de légendes derrière eux.” Même lors du tournage, il peut modifier encore et encore son texte, et pour cause : “Je sais que beaucoup de gens écoutent mes vidéos plus qu’ils ne les regardent, comme si c’était une émission de radio. Je travaille donc vraiment le rythme de mes phrases.”
Une seule vidéo peut donc lui demander plusieurs mois de travail. “Je ne suis pas dessus à plein temps, bien sûr, mais par exemple, ma vidéo sur Mars Attacks m’a pris deux mois. Celle sur Hook, quatre. Et encore, j’ai eu de la chance car j’ai reçu l’aide de Thomas du projet Hook-movie.com, qui avait beaucoup de scans de vieux articles, et je suis tombé sur un court-métrage assez rare, Citizen Spielberg, réalisé pour ses quarante ans, et qui contenait des images assez roots.”
Agir à l’envie
Les vidéos de Damien sont chronophages, et le privent donc d’une plus grande visibilité sur la plateforme, puisque l’algorithme de recommandations de YouTube ne jure que par une chose, ou presque : la régularité. Autre obstacle, financier celui-là : l’utilisation d’extraits et surtout de musiques de films, souvent mal vue par la plateforme quand il s’agit de parler de monétisation des vidéos. Il n’est pas rare que les revenus générés soient en effet redistribués aux ayants droit, en partie ou totalement. “Il y a des démonétisations que je ne conteste pas, évidemment, reconnaît Damien. Mais ma vidéo sur Sonic a été démonétisée sans que je comprenne pourquoi, Il y a quelque temps, je me suis fait carrément striker [l’équivalent d’un avertissement, ndlr] pour une vidéo de 2012 sur Astérix contre César.” Plusieurs vidéos critiques, de films comme Iznogoud ou Die Hard 2 ont été supprimées de sa chaîne. Sans compter non plus sur les placements de produits, il a créé un compte sur Tipeee, une plateforme lui permettant de compter, chaque mois, sur le soutien financier des abonnés qui le souhaiteraient. “C’est compliqué bien sûr, mais pour l’instant, je peux me le permettre. Je travaille un peu à côté pour Vidéo Gamer Retro ou Gamekult.”
Le vidéaste a bien tenté plusieurs vidéos plus formatées et en phase avec ce que YouTube attend, implicitement, de la part des créateurs. Par exemple en proposant des critiques de blockbusters plus récents, pour coller à l’actualité cinématographique et aux modes du moment. Mais l’expérience s’est révélée décevante, et parfois même violente pour le créateur. “Déjà, j’ai réalisé que je n’étais pas bon sur ce type de vlog, que ces vidéos étaient ennuyantes. Et puis, si les vues grimpaient très vite, les commentaires étaient très clivants. Pour ma critique sur Batman V Superman, je me suis fait harceler pendant des semaines par certains internautes. Simplement parce que je disais que je n’avais pas aimé ce film.” Même chose quand il tente une critique qu’il estime mesurée sur Star Wars : Le Réveil de la Force, des internautes anti-Disney lâchent leur pouce en bas.
“Je n’ai pas envie de faire du contenu pour faire du contenu, conclut le vidéaste. Je vois vraiment YouTube comme une manière de continuer mon travail de journaliste et de recherche. C’est pour cela que j’essaye toujours, quand je fais des vidéos, d’agir à l’envie.”
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