La comédienne Yolande Moreau a filmé et écouté des réfugiés du camp de Grande-Synthe : un témoignage poignant sur la vie sacrifiée de personnes égarées, coincées entre la guerre et l’inhospitalité de l’Union européenne.
“La République a laissé tomber un peu d’elle-même dans la boue de Grande-Synthe. Ci-gît l’Europe et son concert d’égoïsmes” : la voix blanche de Yolande Moreau résonne comme un cri d’alarme sans écho autre que le lourd silence qui s’ensuit. Les images de désolation qu’elle a tournées en janvier dans le camp de réfugiés près de Dunkerque possèdent un pouvoir de révolte autant que de révélation.
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Si l’actrice se métamorphose pour la première fois en grand reporter, c’est parce qu’elle a accepté d’assumer, par souci de témoignage, la carte blanche que lui a confiée Philippe Brachet, rédacteur en chef d’Arte Reportage. Après d’autres cinéastes confrontés à la réalité de camps de réfugiés dans le monde entier (Pierre Schœller en Irak, Agnès Merlet au Liban, Claire Denis au Tchad, Régis Wargnier au Népal), la comédienne, après avoir hésité, a passé plusieurs jours à Grande-Synthe, aux côtés de réfugiés et de bénévoles. Grande sainte, elle avoue avoir eu “peur de l’irruption avec la caméra (…) Mais mes amis François Morel et Martin Provost m’ont poussée à le faire.”
“Vous a-t-on dit que vous seriez des ombres ?”
Avec une vraie délicatesse de traits, Yolande Moreau a trouvé dans sa narration documentée un équilibre subtil entre un récit surplombant, à distance de son sujet, et la chronique de proximité, trop frontale pour saisir les enjeux politiques souterrains.
A la fois très humble dans la manière qu’elle a d’écouter les réfugiés rencontrés sur place et fulgurante dans la lecture qu’elle fait d’un texte du romancier Laurent Gaudé, la comédienne prolonge un geste militant déployé depuis des mois par un collectif de cinéastes, signataires de l’appel de Calais.
A des plans fixes de plages abandonnées, de barbelés délimitant les camps, de mares de boue où les pieds s’enlisent, de tentes de fortune, de feux autour desquels se rassemblent des corps abîmés, elle associe les mots sombres de Gaudé, plutôt qu’un commentaire neutre et prévisible : “Vous a-t-on dit que vous seriez des ombres, qu’il n’y avait pour vous aucune terre ? Vous a-t-on dit qu’après la guerre, il y aurait la misère de la terre battue par les vents ? Vous a-t-on dit que vous n’auriez plus de nom ? Nulle part ici, nulle part ailleurs. Vous a-t-on dit que vous auriez Nulle part comme seule patrie ?”, murmure-t-elle.
L’Europe et la France « embrassent la peur »
Les espoirs tronqués et les rêves ensevelis des réfugiés s’entendent dans la plainte déchirante d’un réfugié kurde, venu de Kirkouk, installé depuis des semaines à Calais. “En arrivant en France, je ne m’attendais pas à cet accueil, je ressens ici de la haine”, dit-il, même s’il salue aussi la réconfortante énergie de nombreux bénévoles sur place soucieux d’aider ces milliers de migrants fuyant la guerre, les massacres et l’oppression.
Ce que Yolande Moreau dit calmement et fermement, c’est combien, à Calais, l’Europe et la France sont en train de sacrifier l’esprit qui les a vues naître pour “embrasser la peur”. Les visages de réfugiés ici effleurés, usés par le vent, le froid, la misère et la patience infinie, les récits de vies sacrifiées par les guerres et l’inhospitalité traversent ce reportage qui rend vie, par un sidérant effet de présence, à un “nulle part” auquel on assigne indignement les dignes réfugiés.
Nulle part en France documentaire de Yolande Moreau. Samedi 9, 18 h 35, Arte
Arte.tv/refugiés à partir du 9 avril : récits de l’écrivain Didier Daeninckx, du photographe Gaël Turine et du dessinateur Cyrille Pomès
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