Vendredi 23 mai, à Santa Barbara en Californie, Elliot Rodger, 22 ans, poignarde trois personnes à mort, en tue trois autres par balles et se suicide. Dans une vidéo postée sur Youtube, le jeune homme explique vouloir punir les femmes qui l’ont « toutes rejeté et regardé de haut ». Le lendemain, le hashtag #YesAllWomen remonte dans la rubrique « tendances » de Twitter aux Etats-Unis. Explications.
La vidéo postée sur Youtube et intitulée « Châtiment » est glaçante. Installé dans sa voiture, le visage baigné de soleil, Elliot Rodger, 22 ans, annonce face caméra: « Demain, c’est le jour du châtiment, le jour où je prendrai ma revanche sur l’humanité, sur vous tous » avant de déverser sa colère contre les femmes:
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« Les filles donnent leur affection, font l’amour avec d’autres hommes, jamais avec moi. Je n’ai même jamais embrassé une fille. Je suis allé à l’université pendant deux ans et demi, même plus, et je suis toujours vierge, et ça me torture. A l’université, tout le monde fait plein d’expériences, s’amuse, couche mais moi j’ai dû tout pourrir dans la solitude. Ce n’est pas juste. Vous les filles vous n’avez jamais été attirées par moi. Je ne sais pas pourquoi. C’est une injustice, un crime. Je ne sais pas ce qui vous manque, je suis un mec parfait (…) un gentleman suprême. Je vais toutes vous punir pour ça. »
http://www.dailymail.co.uk/embed/video/1096510.html
Il rit et balance : « Le jour du châtiment, je vais m’introduire dans la sororité de UCSB [l’université de Santa Barbara, ndlr] et massacrer toutes les salopes blondes pourries gâtées que j’y verrai. Toutes ces filles que j’ai désirées et qui m’ont toutes rejeté et regardé de haut. (…) Je vais prendre beaucoup de plaisir à vous massacrer. Vous verrez enfin que je suis supérieur, que je suis le véritable mâle alpha. »
Le 23 mai, Elliot Rodger met son plan à exécution: il poignarde à mort trois personnes dans son appartement près du campus de UCSB à Santa Barbara, en tue trois autres par balles dans les rues du quartier de Isla Vista et se suicide. Treize autres personnes auraient été blessées par balles.
Vingt et une vidéos sont retrouvées sur son compte Youtube, dont celle citée plus haut largement relayée par les médias américains. Elliot Rodger y tient souvent des propos misogynes. La dernière en date, postée le 23 mai, s’appelle « Life is so unfair » (la vie est si injuste). Le jeune homme y fustige les femmes tout en filmant un terrain de golf. « C’est un de mes derniers plaisirs dans la vie. Ma vie est si solitaire et banale. Je n’ai pas d’amis, pas de petite amie, pas d’amour, pas de sexe. Tout ce que j’ai c’est ça, marcher dans des endroits aussi beaux que celui-ci » commente-t-il. Ses vidéos auraient alerté ses parents – son père est assistant-réalisateur, sa mère actrice – qui auraient prévenu la police. Elliot Rodger aurait été entendu par les autorités avant d’être relâché, il y a plusieurs semaines.
#YesAllWomen VS Not All Men
Le hashtag #YesAllWomen a été lancé sur Twitter en réaction au massacre. Des femmes, principalement anglo-saxonnes, y font part de leur expérience de la misogynie. Des hommes apportent leur soutien:
#YesAllWomen because it is still believed that how a woman chooses to dress determines how much respect she should be given
— michelle’s bae (@postirl) 25 Mai 2014
(« #YesAllWomen car on pense toujours que la façon dont une femme choisit de s’habiller détermine le respect qu’elle devrait recevoir »)
#YesAllWomen Because Robin Thicke is applauded while Miley Cyrus is censored and ridiculed.
— Felice Fawn (@felicefawn) 25 Mai 2014
(« #YesAllWomen car Robin Thicke est applaudi alors que Miley Cyrus est censurée et ridiculisée »)
Because we teach girls to dress decent instead of teaching boys to act decent #YesAllWomen
— Amber Greasley (@AmberGreasley) 26 Mai 2014
(« Parce qu’on apprend aux filles à s’habiller décemment au lieu d’apprendre aux garçons à agir décemment #YesAllWomen »)
#YesAllWomen because, as a man, I have never been harassed on the street, but my female friends are harassed on a daily basis. — Justin Dennis (@JustinDennis4) 26 Mai 2014
(« #YesAllWomen car, en tant qu’homme, je n’ai jamais été harcelé dans la rue, alors que mes amis filles le sont tous les jours »)
As a man, I don’t hate the #yesallwomen tag for existing, I hate that it has to exist. We can do better. — Jim Allen (@jimallen) 26 Mai 2014
( » En tant qu’homme, je ne déteste pas l’existence de #yesallwomen,je déteste le fait qu’il doive exister. Nous pouvons faire mieux »)
#yesallwomenpic.twitter.com/Vzq7aB5TlZ — alyssa. (@narrynicotine) 25 Mai 2014
L’expression « Yes All Women » a été conçue comme pendant féministe à « Not All Men », utilisée pour désigner les hommes qui coupent court à une conversation sur le sexisme, la misogynie, le harcèlement ou autre en disant « mais moi je ne suis pas comme ça, ça ne me concerne pas » (pour résumer). L’expression a rapidement été moquée sous forme de mème:
— Ann Boobus (@a_girl_irl) 26 Mars 2014
Comme le rapporte le Time, l’expression s’est surtout fait connaître avec la planche postée le 10 avril dernier par le bédéiste Matt Lubchansky sur son site « Please listen to me », dans laquelle il se moquait du « Not All Men ». On y découvrait « Not All Man », un super-héros qui reçoit un signal dans le ciel dès qu’a lieu une conversation relative à la misogynie et intervient pour y mettre un terme. Contacté par le Time, Lubchansky expliquait ne pas se rappeler où il avait entendu « Not all men » pour la première fois: « Au lieu d’avoir une origine unique, je pense que cette expression est unique dans le genre car elle émane de plein de voix d’andouilles. Comme si des imbéciles s’invitaient VRAIMENT dans une conversation sur l’égalité raciale ou sexuelle en agitant les bras et en disant « HUM EN FAIT PAS MOI! »
Une tuerie masculiniste?
Sur son blog ça fait genre! – qui comme son nom l’indique est consacré aux études de genre – A.C. Husson, normalienne agrégée de lettres modernes et militante féministe, dénonce le fait que plusieurs médias relèguent au second plan la dimension misogyne de la tuerie de Santa Barbara en mettant plutôt l’accent sur les problèmes psychologiques du tueur – qui aurait été atteint du syndrome d’Asperger. Pour elle, il ne fait aucun doute que les meurtres ont été commis dans un délire masculiniste.
A ce sujet, elle renvoie au personnage de Poire, créé par l’auteure du blog « Les questions composent » pour expliquer le « mythe du mec gentil » au fondement même de la mouvance masculiniste. En gros: la haine des femmes est ici motivée par leur soi-disant méchanceté vis-à-vis des hommes qui se disent pourtant « gentils ». Soit ce que l’on retrouve dans le discours d’Elliot Rodger.
Dans un article consacré au masculinisme publié sur notre site en juillet dernier, nous citions notamment Francis Dupuy-Déri, professeur à l’Institut de recherches et d’études féministes à l’Université de Montréal et auteur de Le mouvement masculiniste au Québec : l’antiféminisme démasqué*. qui définit le masculinisme comme « un mouvement social conservateur ou réactionnaire qui prétend que les hommes souffrent d’une crise identitaire parce que les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions.”
Le blog masculiniste canadien Men’s Rights prend sans surprise la défense d’Elliot Rodger, justifiant ses actes par le fait d’avoir été « projeté dans un système scolaire misandre qui loue les femmes peu importe à quel point elles sont diaboliques et dégrade les hommes peu importe à quel point ils sont nobles« . Selon Business Insider, un internaute inscrit sous le nom d’EliotRodger postait régulièrement des messages sur le forum masculiniste violent PUAhate [le sigle PUA signifie « Pick Up Artist » et désigne un homme passé maître dans l’art de la drague], depuis mis hors ligne. Toujours d’après le site américain, un utilisateur de PUAhate aurait posté le 23 mai au soir la fameuse vidéo d’Elliot Rodger accompagnée du commentaire « Eliot Rodger, un membre de ce forum, vient de tuer deux filles à côté de Santa Barbara (Isla Vista)« . Précisions au passage que l’expression « mâle alpha » qu’Elliot Rodger utilise pour se définir dans une de ses vidéos est un élément de langage masculiniste.
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