Nouvelle star de l’émission On n’est pas couché, Yann Moix pousse les invités de Laurent Ruquier dans leurs derniers retranchements. Mais, dit-il, “n’arrive pas à être méchant”.
“Tu penses que Moix va défoncer qui ce soir ?” Ce jeudi 3 mars, dans les coursives du mythique studio Gabriel, le nom du chroniqueur d’On n’est pas couché (ONPC) est sur toutes les lèvres. Venus assister à l’enregistrement de la grand-messe du samedi soir, les deux cent quarante spectateurs parient sur le nom de sa prochaine victime entre deux bouchées d’un sandwich triangle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En l’espace de six mois, les fulgurances – parfois lunaires – de Yann Moix ont réussi à faire oublier les saillies réac d’Eric Zemmour et l’assurance déboutonnée d’Aymeric Caron. Cinq minutes seulement avant l’arrivée des invités, Moix déboule sur le plateau après être passé au maquillage et à la brosse anti-pellicules.
Un artificier aux saillies efficaces
Col ouvert, cravate deserrée et chemise débraillée, l’écrivain soigne sa différence jusque dans les détails. Assis sur son tabouret, il dispose soigneusement ses notes stabilotées pendant que Léa Salamé se fait repoudrer le nez. Le feu d’artifice commence. Après le traditionnel Flop Ten de Laurent Ruquier, le grenadier entre en scène.
“Vous ne verrez jamais un spectateur venir me saluer à la fin” Yann Moix
Entre deux verres de Red Bull, Yann Moix ridiculise les textes du rappeur La Fouine (“Est-ce que le bégaiement prédispose au rap ?”), pousse dans ses retranchements le patron de Mediapart Edwy Plenel (“Votre Tariq Ramadan, c’est la Christine Boutin des musulmans…”), et atomise la journaliste Isabelle Saporta (“Votre livre est illisible et indigeste”). A l’écoute de ses piques, le public oscille entre rires et huées.
Le lendemain, dans un restaurant coréen, Moix analyse les ressorts de cette attraction-répulsion : “Quand j’arrive, les gens sont supergentils, quand je sors pareil, mais il doit y avoir une malédiction à l’intérieur car je suis systématiquement sifflé par le public. Vous ne verrez jamais un spectateur venir me saluer à la fin, à part pour m’arracher un bouquin, ou une nana pour me faire la bise, en général la plus moche.”
De brillant écrivain à chroniqueur clivant
Pourquoi ce brillant écrivain – Goncourt du premier roman pour Jubilations vers le ciel en 1996, Renaudot en 2013 pour Naissance et, entre les deux, un carton au cinéma avec Podium en 2004 – a-t-il accepté un rôle aussi clivant ? Peut-être pour le million et demi de téléspectateurs en moyenne d’On n’est pas couché qui ont permis à Moix d’atteindre la célébrité plus rapidement qu’après une quinzaine de livres ou de films.
“Le fait d’être reconnu dans la rue est agréable, assure l’auteur de 47 ans. Avant, quand on m’apostrophait, c’était pour me dire : ‘Ce n’est pas vous le mec qui a créé un dégât des eaux dans notre immeuble il y a vingt ans ?” Aujourd’hui, Moix est la nouvelle star d’ONPC et sa productrice historique Catherine Barma n’a pas de mots assez forts pour décrire son chouchou : “C’est un être tellement original, tellement brillant, tellement intelligent.”
Son binôme, Léa Salamé, est également très élogieuse : “Yann a rendu l’émission plus littéraire, plus décalée et plus chic. Il m’a fait du bien, il a fait du bien à Ruquier, il a fait du bien à l’émission. C’est comme en amour, ça s’appelle les affinités électives et ça ne s’explique pas.”
Un rôle décisif dans la venue de Michel Houellebecq
Il faut dire que Yann Moix n’a pas attendu la fin de sa période d’essai pour répondre aux espoirs placés en lui. Deux jours avant sa grande première d’ONPC, le 29 août 2015, l’ancien ministre grec de l’Economie Yánis Varoufákis fait faux bond.
“Je n’ai pas envie d’en prendre plein la gueule” Michel Houellebecq
Lors d’un dîner au café Marly, Laurent Ruquier, Léa Salamé et Yann Moix cherchent une solution de repli devant la pyramide du Louvre. “Et si l’on invitait Houellebecq”, propose la journaliste de France Inter. Ruquier acquiesce. Le Renaudot 2013 se charge d’appeler le Goncourt 2010.
“Je n’aime pas cette émission et je n’ai pas envie d’en prendre plein la gueule, maugrée Houellebecq. J’ai déjà reçu assez de menaces comme ça.” Essoré par les remous qui ont suivi la sortie de son dernier livre, Soumission, l’écrivain s’est astreint au silence. Au téléphone, Moix se fait doucereux et promet qu’il n’en sera pas question. Houellebecq finit par céder. Le couac est évité de justesse.
Il pousse Morano à la faute
Six mois plus tard, On n’est pas couché s’est imposée comme le baromètre de l’actualité française. Au lendemain de sa diffusion, ses extraits boostent l’audience des sites web et nourrissent les questions de toutes les matinales de France et de Navarre.
La pugnacité de Yann Moix y est pour beaucoup. Le 26 septembre dernier, Laurent Ruquier accueille Nadine Morano pour sa rentrée politique. Durant la première partie de l’émission, l’ancienne ministre sarkozyste déroule son laïus habituel sur l’islam et l’immigration. Lors des questions posées par Léa Salamé, Moix relit ses notes.
Au bout de cinquante minutes, l’artificier passe à l’attaque et dégoupille de vieilles déclarations de la députée européenne. “Comment allez-vous faire en sorte que la religion musulmane reste minoritaire ?”, interroge l’écrivain. Déstabilisée, Nadine Morano part dans un long monologue qui aboutit sur ce qui reste comme le dérapage le plus retentissant de la saison.
Citant des propos attribués au général de Gaulle, Morano qualifie la France “de pays judéo-chrétien, de race blanche.” “Il l’a amenée au bord du précipice”, commente le réalisateur Xavier Durringer, invité le même soir. Après l’émission, Léa Salamé demande à la productrice Catherine Barma si la séquence va être coupée. “Non, elle assume tout.”
“J’ai fait accoucher Morano d’un truc abject”, se félicite Yann Moix. Son mentor Bernard-Henri Lévy dit de lui qu’il est devenu un “détecteur de méchanceté”. Pourtant, Moix est loin d’être le perdreau cathodique de l’année. Cela fait vingt ans qu’il écume les plateaux télévisés.
Dans le costume du vieux con
Depuis sa première apparition en 1996 dans Le Cercle de minuit de Laure Adler jusqu’aux interviews formatées de Thierry Ardisson dans Tout le monde en parle et Salut les Terriens ! “Il a un sens de la formule incroyable allié à une méchanceté terrible, estime l’homme en noir. C’est quelqu’un qui adore l’affrontement verbal, la bagarre. Il a apporté une folie totale à l’émission, tout ce qu’il fait est inattendu.”
Celui que ses amis décrivent comme “quelqu’un qui adore se faire détester” est devenu la tête à clash officielle de l’émission. Chaque samedi soir, son discours sans filtre ponctué de références philosophiques maintient éveillés les spectateurs de France 2 après 23 heures. Quitte parfois à endosser le costume du vieux con.
Devant la youtubeuse Natoo, Yann Moix assure ainsi que le nombre de vues de ses vidéos n’est pas fiable. “J’avais vraiment le sentiment d’être à un repas de famille à devoir expliquer à mon oncle comment fonctionne YouTube, se rappelle la vidéaste. La prochaine fois, je lui préparerai un tuto.”
Le rappeur Nekfeu a vécu le même décalage générationnel. “On avait vraiment forcé Nekfeu pour y aller, confie un proche. Au final, cet épisode a été un peu traumatisant pour lui.” Face au rappeur, Moix s’est amusé à tourner en dérision la violence de ses textes avant de parodier les “finger tricks” des gangs américains. “J’ai trouvé un petit gimmick dans l’émission, se justifie Yann Moix. Comme je n’ai pas envie de dire du mal des artistes que je n’apprécie pas, je joue au vieux prof.”
Une interview coupée au montage
Sans doute encore en rodage, Yann Moix a trébuché face à l’écrivain Laurent Binet. Le 7 novembre, l’auteur vient présenter son dernier livre, La Septième Fonction du langage. Sur le plateau, son T-shirt décontract contraste avec son anxiété gestuelle. Engoncé dans son fauteuil, les jambes croisés, Laurent Binet s’attend à passer sous les fourches caudines de Moix.
Un livre “écrit à la truelle”
“Comme nous avons le même éditeur (Grasset), je savais qu’il avait détesté mon livre et j’étais préparé aux attaques.” Dès sa première prise de parole, Moix ne le déçoit pas et parle d’un livre “écrit à la truelle”. Le reste de l’intervention est du même acabit.
Le lendemain, la production se décide à couper une dizaine de minutes de l’interview. “Quand tu balances des horreurs avec le sourire, tout passe, mais là tu as un regard tellement méchant que nous sommes obligés de couper la séquence”, se justifie le monteur auprès de Yann Moix.
Une fascination pour le judaïsme
En ressassant ses souvenirs, Laurent Binet se rappelle d’une altercation houleuse où Yann Moix serait “devenu quasi fou”. Pour l’auteur d’HHhH, cet exemple révèle les carences du personnage. “Il n’est pas assez structuré politiquement et ça lui manque pour ce genre de job, explique Binet.”
”Il se prétend vaguement centriste, mais il ne comprend pas ce qu’est la droite et la gauche. Il a une grille de lecture unique, le judaïsme et la judéité. Quand le ministre de la Ville (présent sur le plateau le même soir, comme invité politique), parle de logements sociaux, ça ne lui sert pas à grand-chose de citer le Talmud.”
L’écrivain aime raconter que son “nom vient de Moïse”
Sa fascination pour le judaïsme est l’une des clés de compréhension intellectuelle du phénomène Moix. Etudiant le Talmud depuis de nombreuses années, l’écrivain aime raconter que son “nom vient de Moïse” et qu’il est un descendant de Marranes (les Juifs espagnols ou portugais convertis de force au catholicisme au XVe siècle qui pratiquaient en secret la religion juive).
“Le problème de Moix, c’est qu’il ramène toujours à la judéité, du moindre élément de langage à la pop culture, raconte une ex-amie qui s’est brouillée avec lui à cause de ce tropisme. Du coup, ça ne m’a pas étonnée quand il a fait son cérémonial avec la kippa.”
Le coup d’éclat de la kippa
Le “cérémonial” en question a lieu face au Premier ministre Manuel Valls, invité exceptionnel de l’émission le 16 janvier. Dans une France en émoi après l’annonce de l’agression au couteau d’un enseignant juif à Marseille, Yann Moix décide de sortir une kippa et de la poser sur sa tête en signe de solidarité.
Léa Salamé, qui lui avait conseillé “de ne pas le faire”, reste bouche bée. En régie, Catherine Barma jubile et trouve le geste “formidable” : “Il a imagé sa pensée”. Sur le plateau, le sentiment est beaucoup plus mitigé. L’un des invités évoque “un geste maladroit” réalisé par un chroniqueur affublé du “rôle de bouffon, celui qui se fait détester”.
Ses clashs à répétition ont également altéré ses relations avec Grasset, la maison d’édition avec laquelle il a signé tous ses livres. Au 61, rue des Saints-Pères, au cœur du quartier Latin, on apprécie mal de voir le fils prodigue s’attaquer aux auteurs du catalogue. Avant le passage de Lydia Guirous, ancienne porte-parole du parti Les Républicains, Yann Moix reçoit un SMS d’un des pontes de Grasset : “Ça serait bien que vous soyez gentil avec elle svp.”
Le “coup de pute” de Grasset
L’écrivain n’en tient absolument pas compte. Lors de son passage, Moix fustige des “propos inacceptables et des erreurs historiques inouïes”. En coulisses, Elodie Deglaire, attachée de presse de Grasset et amie de Moix depuis vingt ans est furieuse.
“Des fois, je suis un peu couillon”
“Tu as été trop dur, ça ne te ressemble pas. Mais que t’arrive-t-il ?”, assène-t-elle d’un texto lapidaire. Yann Moix n’en revient toujours pas : “C’est inadmissible que Grasset publie des merdes pareilles. J’ai le sentiment qu’ils ont cherché à transformer ma violence envers Guirous en une espèce de règlement de comptes avec eux. Ils sont devenus paranoïaques.”
Difficile de dissocier sa vie d’écrivain de sa vie cathodique lorsque l’on est aussi exposé. “J’ai été naïf, des fois je suis un peu couillon, concède Moix. Mais le vrai coup de pute que m’a fait Grasset, c’était avec Onfray.” “Humiliation”. Le mot tournait en boucle sur les réseaux sociaux après la diffusion de sa joute médiatique face à Michel Onfray, au début du mois de septembre.
Début septembre, le clash avec Michel Onfray
A l’origine, l’auteur de Contre-histoire de la philosophie était invité pour répondre aux attaques de Libération qui l’accusait de “faire le jeu du FN”. Le soir-même, le philosophe aux célèbres lunettes carrées débarque serein dans l’arène. Yann Moix est plus tendu : visage austère, doigts collés près de la bouche.
Cherchant à interroger son ex-ami sur sa définition du mot “peuple” en puisant dans Beaumarchais, Camus ou Michelet, le chroniqueur est renvoyé dans ses pénates à coups de formules assassines (“Vous êtes un excellent romancier mais il ne faut pas vous essayer à la pensée, ce n’est pas fait pour vous.”).
La discussion philosophique dérive sur des considérations privées. “Il s’est passé quelque chose de très intime entre eux”, se souvient l’écrivain Emilie Frèche, présente ce soir-là. “C’était très personnel et un peu gênant”, confirme d’une voix rauque le capitaine de remorqueur Philippe Martinez, également sur le plateau.
A plusieurs reprises, le philosophe évoque le compagnonnage de Moix avec Bernard-Henri Lévy. Michel Onfray accuse même son ancienne maison d’édition d’avoir fourni à Moix des armes pour le démolir : “Vos arguments sont fabriqués chez Grasset où nous nous sommes rencontrés il y a bientôt vingt ans.”
Six mois plus tard, le chroniqueur d’On n’est pas couché livre une tout autre version : “J’avais donné mes questions à des personnes de Grasset la veille de la venue d’Onfray, pas pour qu’ils les lui répètent mais pour les tester auprès d’eux parce qu’ils connaissent bien la bête. En fait, sous couvert de me coacher, ils lui ont refilé l’intégralité de mes notes. Durant l’émission, en citant allègrement Grasset, Onfray a trahi ceux qui lui avaient fait confiance et on n’a finalement parlé que de cela…”
« Il joue au mec méchant mais il ne va pas au bout »
Au moment de faire le bilan de son année médiatique, Yann Moix estime qu’il a encore des progrès à accomplir. “Le principal truc que je peux me reprocher, c’est d’être trop gentil, assure-t-il sérieusement. Quand je dis un truc méchant, je ne l’assume pas et ça se retourne contre moi.”
Invité lors de la dernière émission, le cinéaste Lucien Jean-Baptiste confirme cette étrange disposition moixienne : “Il joue au mec méchant, mais il ne va pas au bout. Il déterre une erreur, cherche une jolie petite citation, mais s’il s’aperçoit que la personne est déstabilisé, il passe à autre chose. Il n’achève pas, en fait.”
Avec le calme d’un moine bouddhiste, Moix explique qu’il compte corriger le tir : “Ce qu’il faut maintenant, c’est que je sorte l’arme nucléaire. Je ne dis pas ça pour flamber mais j’en avais de belles sur Morano, Onfray ou Taubira…” En attendant, cet hypersensible jure qu’il aura du mal à appuyer sur le bouton rouge.
“La vraie raison, c’est que je suis sympa. Je n’arrive pas à être un vrai fils de pute. Je n’arrive pas à être méchant, je n’y parviens pas… Dans la vie c’est pareil, j’ai trop d’empathie.” Celui qui a débuté aux Grosses Têtes après avoir obtenu le Renaudot est décidément un homme de paradoxes.
…
{"type":"Banniere-Basse"}