Douze ans après son premier volet, la saga japonaise « Yakuza » s’offre un prequel se déroulant dans le Tokyo de la fin des années 1980. Aussi varié qu’élégant et follement attachant, le résultat est un régal.
Certains jeux vidéo sont grands et beaux, d’autres petits et tout mignons, d’autres encore secs et intenses ou âpres et majestueux, mais on en connaît peu qui puissent rivaliser avec la saga Yakuza dans le domaine où elle excelle : celui du cool, que l’on définira ici comme un mélange d’élégance et de décontraction à la fois follement plaisant et sans doute plus complexe qu’il n’y paraît. Depuis le premier épisode des aventures de Kazuma Kiryu paru en 2005 et prolongé depuis par quatre suites, une poignée de spin-offs et un film de cinéma réalisé par le grand Takashi Miike, Yakuza, c’est cool. Et le tout frais Yakuza 0, prequel gagnant en souplesse ludique et se déroulant en 1988 dans lequel l’ami Kiryu est âgé d’à peine 20 ans, peut-être encore plus que les précédents. Et qui a aussi pour qualité d’offrir une porte d’entrée idéale dans la saga en n’exigeant du joueur aucune connaissance des événements des jeux précédents.
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On s’y croirait, et c’est d’ailleurs l’un des premiers attraits du jeu
A l’origine, en même temps qu’une variation sur les principes du jeu de rôle nippon, Yakuza est à la fois une réponse japonaise à GTA et un héritier du mythique Shenmue (sur lequel avait travaillé son créateur Toshihiro Nagoshi), une affaire d’action – les combats de rue y tiennent une place centrale – et de déambulation urbaine dans un environnement éminemment japonais. Si, d’un épisode à l’autre, le joueur a fait connaissance avec plusieurs personnages et environnements, s’offrant des virées à Osaka et même à Okinawa pour y gérer un orphelinat (au début de Yakuza 3), le cœur de la série bat d’abord dans le quartier (des plaisirs nocturnes, pour aller vite) tokyoïte de Kamurocho, inspiré du bien réel Kabukicho, où se passe encore une bonne partie (mais pas l’intégralité) de l’aventure de Yakuza 0. On s’y croirait, et c’est d’ailleurs l’un des premiers attraits du jeu, en particulier si l’on aime les rues bruissantes d’activité et les néons de toutes les couleurs qui brillent dans la nuit.
D’abord vient l’impression d’être transporté ailleurs, l’exotisme, le plaisir du tourisme pour de faux – note aux auteurs du jeu : s’il vous plaît, faites-nous un Yakuza en réalité virtuelle. Et puis, peu à peu, au fil de l’aventure – compter plusieurs dizaines d’heures pour voir le bout de celle de Yakuza 0 – ou, a fortiori, des différents jeux qui y reviennent sans cesse, s’installe une forme de familiarité qui, d’une façon mystérieuse, au lieu de l’atténuer, renforce la fascination. Au bout d’un moment, Kamurocho, c’est chez nous, on en connaît les moindres recoins – du moins le croit-on – et cela reste pourtant un ailleurs radical, un autre monde dont rien ne semble pouvoir atténuer le pouvoir d’attraction.
Une sorte de déraillement du quotidien
On a beaucoup dit que jouer à Yakuza, c’est se retrouver plongé dans un film, justement, de yakuzas. C’est vrai – le récit, dur et riche en personnages forts comme en rebondissements, est largement à la hauteur –, mais à condition de ne pas perdre de vue la diversité de ce genre au cinéma. Et d’avoir en tête, par exemple, les éléments de comédie ou de mélo, le sens de la dérive, les inventions et les ruptures de ton des films de gangsters de la grande époque de Takeshi Kitano, Jugatsu, Sonatine ou Hana-Bi. Car il y a de ça (il y a de tout) dans Yakuza 0, qui prend (et nous donne) le temps d’écouter la respiration du quartier et de s’intéresser à ses habitants, ce qui est bien sûr éminemment cool.
Plus encore que les épisodes précédents, Yakuza 0 met en avant une multitude de petites histoires qui relèvent toutes plus ou moins d’une sorte de déraillement du quotidien. Alors que l’on sillonne les rues un peu au hasard ou que l’on se dirige sans trop se presser vers le prochain rendez-vous de l’histoire principale, voilà que l’on tombe soudain sur une équipe de tournage qui recherche un (faux) producteur, sur un lycéen qui soupçonne sa copine de se prostituer – à tort : elle vend juste ses sous-vêtements usagés à quelques messieurs, donc ça peut aller – ou sur une dominatrice trop douce qui nous demande de l’aider à se montrer impitoyable avec ses clients. Et puis, entre deux bastons à la fois gratifiantes et pas trop compliquées (du moins au niveau « facile » du jeu), on devient « ami » avec une caissière de supérette ou un flic aimablement incompétent. On est digne, on est fiable, un peu distant mais chevaleresque à chaque instant. On s’aime vraiment bien comme ça.
Un espace de possibilités infini
Ces mini-fictions plus ou moins ironiques ne sont cependant pas les seules activités « secondaires » que propose Yakuza 0. Pour peu qu’on ait envie de s’y adonner – et il serait quasi criminel de se priver –, nous voilà parti attraper des peluches dans l’UFO Catcher d’une salle d’arcade où l’on s’offre aussi quelques parties du grand classique Space Harrier – Out Run est aussi présent –, puis on s’autorise un bowling, un billard, une partie de mah-jong, on tape quelques balles de baseball, on fait un tour au karaoké (pour une très chouette incursion dans l’inépuisable genre du rhythm game). A nos heures perdues, on va aussi regarder quelques vidéos érotiques en attendant l’ouverture des bar à hôtesses – dont la présence est, depuis le début, l’un des signes distinctifs (à la représentation pas foncièrement féministe) de la saga Yakuza.
Quoi de plus merveilleux que de pouvoir, à volonté, se lancer furieusement dans l’action musclée ou s’abandonner momentanément (ou bien des heures durant) dans le jeu au carré ? Il y a des jeux dont on veut absolument voir la fin et d’autres que l’on préfère garder avec soi pour longtemps. Ce que crée Yakuza 0, c’est un espace de possibilités que l’on fréquente comme on l’entend, un espace qui se développe en profondeur ou en hauteur et gagne en densité plus qu’il ne s’étend géographiquement. Cela vaut pour son déroulement très concret comme pour les impressions qu’il suscite, pour le Kamurocho perso qu’il fait pousser en nous, l’air de rien, tranquillement. Délicieusement.
Yakuza 0 (Sega), sur PS4, environ 60€
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