Suite au débat provoqué par la remise d’un « Y’a bon award » à la journaliste Caroline Fourest, qui menace de porter plainte, les Inrocks donnent la parole aux deux parties.
Stéphane Guillon, Frédéric Martel, Sophia Aram: depuis une semaine, de nombreuses personnalités ont réagi à la cérémonie controversée des Y’a bon Awards et à leur décision d’épingler la journaliste Caroline Fourest. Méritait-elle ou non ce prix pour ses propos dénonçant « les associations qui demandent des gymnases pour organiser des tournois de basket réservés aux femmes, voilées, pour en plus lever des fonds pour le Hamas » ? Pour tenter d’y répondre, les deux intéressées de ce débat : Rokhaya Diallo, représentante de l’association les Indivisibles qui organise les Y’a bon Awards et Caroline Fourest, la lauréate de la peau de banane pour ses propos jugés « à caractère xénophobes, racistes ou colonialistes français ».
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Mauvaise blague ? Lundi soir, la salle du Cabaret Sauvage était bondée de monde, et le public des Y’a bon awards alternait vagues de consternation et rire. L’annonce de la victoire de Caroline Fourest a provoqué les applaudissements du public.
« Le but de l’association les Indivisibles est de donner la parole à des citoyens lambdas pour qu’ils puissent juger des gens qui ont accès à la sphère publique » explique Rokhaya Diallo, jeune militante associative française et chroniqueuse à Canal plus et RTL.
« L’irrévérence est dans la tradition française, le prix les Y’a bon awards, c’est un prix où l’humour et la dérision sont un mode d’action de l’association »
Un humour qui n’a pas fait rire Caroline Fourest, puisqu’elle a aussitôt annoncé sur son blog qu’elle porterait plainte pour « incitation à la haine et discrimination« . Selon la journaliste, le plus grand danger représenté par ce Y’a bon Award est qu’il mettrait en danger sa profession de journaliste :
« Ca veut dire que je ne peux plus faire mon métier sur la laïcité, je ne peux plus dénoncer l’intégrisme sans que ma parole soit assimilée à un acte raciste. Ce qui est doublement dramatique. D’abord, ça interdit tout travail journalistique sur l’intégrisme et c’est évidemment une grossière instrumentalisation de l’anti racisme. C’est comme si vous décerniez un Y a bon à quelqu’un qui critique la politique du gouvernement israélien et que vous dites qu’il est anti sémite. C’est terrible pour le débat d’idée. »
La journaliste qui se bat contre l’inégalité, dénonce la partialité des membres du jury mais pointe aussi du doigt son organisateur : Rokhaya Diallo.
« C’est d’autant plus douteux que le discours pour lequel je suis nommée a été tenu à la convention du parti socialiste pour l’égalité réelle que Rokhaya Diallo a entendu dans son intégralité. Elle était à la même tribune que moi. C’est un discours où je venais d’expliquer pourquoi je n’étais pas d’accord sur la façon dont Rokhaya Diallo propose de lutter contre les discriminations (les statistiques ethniques, et la laïcité positive, son credo) et pourquoi je préférais une lutte contre les inégalités, une lutte contre les préjugés racistes, et une laïcité intransigeante avec les intégristes. C’est un débat de fond, c’est un débat de qualité. C’est comme si j’avais décerné un Y’a bon Award à Rokhaya Diallo, alors j’aurais décerné quoi, le prix du Taliban Awards parce qu’elle a défendu le voile ? C’est dégueulasse. »
Enfin, comme sur son blog , la journaliste, a souhaité préciser à nouveau le contexte tendu dans lequel elle exerce son travail :
« Dans ce contexte, décerner un Y’a Bon Awards accrédite l’idée que je suis raciste et contribue à renforcer la propagande des radicaux et des intégristes qui m’attaquent toute la journée. »
Caroline Fourest ne souhaite pas être dénoncée dans son combat pour les droits de la femme et contre les fanatismes:
« Si il y a bien quelque chose qui fait monter l’extrême droite dans ce pays et qui fait monter le racisme, c’est qu’une partie de la gauche est complaisante envers le fanatisme. Alors manque de bol pour eux, manque de bol pour le Front National, il y a une gauche qui ne confond pas tout et qui pense qu’il faut combattre les deux : l’intégrisme et le racisme. Si des gens nous font des croche-pieds toute la journée car ils pensent que critiquer le fanatisme c’est raciste, tout part en vrille. C’est une confusion que je ne voulais pas laisser passer, parce qu’elle est intellectuellement dangereuse dans un contexte où on a besoin de courage intellectuel. »
Du côté des Indivisibles et de leur représentante Rokhaya Diallo, on ne comprend pas pourquoi la réaction de Caroline Fourest a été aussi vive :
« Moi honnêtement quand j’ai lu le blog, je me suis dit que Caroline Fourest avait glissé sur la peau de banane qu’on lui avait offerte. C’est la première fois qu’un lauréat prend les choses de manière aussi dramatique, alors qu’on a du décerner des Y’a bon a une trentaine de personnes. »
Pour Rokhaya, l’objet des Y’a Bons est de remettre en question une certaine tendance universelle à énoncer des propos maladroits dans la sphère publique : « Tous les gens qui ont accès à la parole médiatique, je me comprend dedans, peuvent produire des préjugés. Ne pas se remettre en cause, c’est incroyable. Je suis comme tout le monde, je suis influencée par ce que j’entends, dans mon environnement et parfois il peut m’arriver d’émettre des préjuges. Et si on me le fait remarquer, je vais pas porter plainte, je vais simplement me remettre en cause. C’est la solution la plus élémentaire. »
En réponse aux attaques de Caroline Fourest, Rokhaya a souhaité préciser : « Pourquoi elle s’en prend à moi et pas à des jurés ? Oui, j’ai fait un discours au PS à la convention de l’Egalité réelle, j’ai interpellé le PS sur ses propres pratiques, c’est là dessus qu’elle se base pour dire que c’est un truc personnel ? Mais non, c’est pas du tout ça. Moi, je défend de manière très fervente la loi 1905. Son Y’a bon awards, c’est celui qui a été le plus applaudi par le public, un public de 500 personnes que je ne suis pas allé voir en disant applaudissez, applaudissez. »
Quant aux accusations de Caroline Fourest sur un possible double jeu joué par Rokhaya Diallo avec les islamistes et le gouvernement américain, l’intéressée répond ironiquement :
« Apparemment je suis à la fois un agent des islamistes, un agent du gouvernement américain et je m’auto-félicite pour ce grand écart, c’est quand même hyper fort ! J’ai pas envie de répondre car c’est de la diffamation et des attaques personnelles. »
Et enfin de conclure sur le féminisme, cheval de bataille des deux femmes :
« L’année dernière il y’a eu un scandale sur les prothèses PIP, il y’a vraiment un enjeu féministe là dessus. Où sont les Caroline Fourest quand il s’agit de défendre l’intégrité physique des femmes qui, en raison des canons de beauté alimentés par les magazines féminins vont jusqu’à risquer leur vie pour ressembler à ce qu’on nous prétend être le modèle de la belle femme ? Pourquoi s’en prendre plus au voile qu’aux prothèses PIP ? »
Fin du 3e Round. La suite au procès ?
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