Le « Vive Le Pen ! » de Robert Ménard n’a pas surpris ses proches. Pour ceux qui l’ont cotoyé depuis une vingtaine d’années, l’ex-président de RSF a toujours été réactionnaire. Ce qu’il confirme.
« Est-ce que vous pensez que je suis assez con pour ne pas me poser cette question ?” Ne vous énervez pas, Robert Ménard. On vous demandait juste si vos boulots de chroniqueurs dans les médias ne vous obligeaient pas à devenir une caricature. Le ton de la réponse nous met sur la voie.
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La question, on se l’est posée : comment passe-t-on de patron de Reporters sans frontières (RSF) à réac de service sur les plateaux télé. Y a-t-il deux Robert Ménard ? L’ancien, qui se battait pour les journalistes emprisonnés et se faisait arrêter lors de l’ouverture des JO de Pékin, et le nouveau, qui trouve des justifications à la peine de mort et à la torture et titre un fascicule Vive Le Pen !
Ménard ne voit pas la contradiction. Ce titre, Vive Le Pen !, c’est “de la provocation bien sûr”, une réflexion sur le poids du politiquement correct. “Je suis un militant pour la liberté d’expression”, rappelle-t-il. Mais l’argument de “ces gens qui n’avaient pas la parole” a mal vieilli. Lui, Eric Zemmour, Elisabeth Levy sont les nouveaux chouchous des télés et des radios. Marine Le Pen est sur tous les plateaux.
“Cela fait partie des poses à la Finkielkraut de se présenter en parias, alors qu’ils dînent à la grande table un jour sur deux”, dit de lui Rony Brauman, qui a passé plus d’une dizaine d’années avec Ménard à RSF.
De fait, on a du mal à écouter sérieusement ce dernier quand il commence ses phrases par “en France, on ne peut pas dire que…”
Un style « en permanence sur la ligne jaune »
L’homme dispose de son propre magazine (la revue Médias), d’une chronique hebdomadaire sur la radio la plus écoutée de France, d’une émission sur la chaîne I-Télé. D’Yves Calvi à Frédéric Taddéi, il est invité partout. Régulier d’On refait le monde sur RTL au titre de patron de RSF, il entre dans le cercle des “polémistes” payés 150 euros par émission. Bernard Poirette, qui anime la matinale du week-end, et Hervé Béroud, alors patron de la rédaction, ont ensuite l’idée de proposer une chronique hebdomadaire à “cet anar de droite pertinent et audible”, selon les mots de Poirette.
Même casting sur I-Télé. Thierry Thuillier, alors patron de l’info, observe qu’aux Etats-Unis “ce sont les chaînes qui ne défendent pas de points de vue comme CNN qui ont le plus perdu de téléspectateurs”, quand Fox News a décollé avec ses O’Reilly et autres agités de droite. L’ex-patron de RSF décroche sa case Ménard sans interdit. Au départ, la direction le trouve un peu sinistre, pas très télégénique. Mais son style s’affirme, “en permanence sur la ligne jaune”. Sur RTL, raconte un journaliste, “certains pensent que le mec a fondu les plombs dans la lumière, qu’il est dans la surenchère compétitive avec Zemmour”.
Le 5 avril, lorsque Le Monde titre sa page 3 “Profession : réactionnaire”, la rédaction réalise que quatre des cinq en photo (Ménard, Zemmour, Rioufol, Levy) travaillent pour RTL. Malaise. La condamnation de Zemmour et le Vive Le Pen ! de Ménard, ça fait beaucoup. Robert passe une heure dans le bureau de Catherine Mangin, la directrice de l’info. “Ils sont emmerdés par le monstre qu’ils ont créé”, décode un autre journaliste. Mais ses interventions ont toujours été pesées : Ménard envoie ses textes le vendredi, avant sa chronique du samedi. Christophe Hondelatte décide même d’en faire l’invité de son journal du soir à l’occasion de la sortie de son livre.
« Le problème, c’est que je ne suis pas de gauche »
Ménard assure qu’il n’a pas changé. “Quand vous dirigez une association de droits de l’homme, il va de soi que vous êtes de gauche, lâche-t-il. Le problème, c’est que je ne suis pas de gauche.”
Ce n’est pas un scoop. Alors qu’il était patron de RSF, il avait déjà dit sur RTL avoir voté Sarkozy. Sur le reste aussi, assure-t-il, il reste le même. “Mais on ne m’interrogeait pas sur l’homosexualité quand j’étais responsable de RSF.” Maintenant, on peut connaître le point de vue de Ménard sur tous les sujets, de l’homosexualité (il n’aimerait pas que sa fille soit gay) à sa haine d’Eva Joly (“peste verte”).
“Et si j’invite le Suisse qui a proposé le référendum sur les minarets dans mon émission, ce n’est pas parce que je suis d’accord”, dit-il au sujet d’une invitation qui a fait des remous dans la rédaction d’I-Télé.
“La liberté d’expression, c’est ce que je défends depuis vingt-cinq ans à Reporters sans frontières”, dit Ménard avec un présent qui pèse à l’ONG. Invité de Mots croisés, sur France 2, pour parler de Marine Le Pen, un bandeau le présente comme le fondateur de RSF. L’association est dans ses petits souliers. “Ce qu’il dit ne correspond pas aux valeurs qu’on défend”, résume Jean-François Julliard, qui lui a succédé. L’ONG tente de s’extirper des petits conflits d’intérêts des années Ménard : RSF a des parts dans la société qui publie le magazine Médias dont Ménard est directeur de la publication…
“On veut vendre les parts, même si elles sont symboliques, pour couper tout lien entre RSF et Médias”, dit Julliard.
Un homme longtemps protégé par sa cause
En interrogeant ceux qui ont travaillé avec lui, on découvre un homme dont les embardées exaspéraient depuis longtemps, mais sur lesquelles on fermait les yeux, un homme protégé par sa cause en lettres majuscules. Rony Brauman, dans l’équipe d’origine, n’a pas été surpris de l’entendre défendre la peine de mort :
“Au milieu des années 90, il a commencé à être excessif. Son discours s’est BHLisé. Il est devenu un peu néoconvervateur.”
Même ceux qui le suivent depuis longtemps sont désorientés. Le journaliste Philippe Gavi, un ancien de Libé, le premier à développer une rubrique média dans un journal, travaille régulièrement pour Médias. Il a appris la sortie de Vive Le Pen ! dans Le Nouvel Obs. “On avait eu un comité de rédaction trois semaines avant. Il ne nous avait rien dit.”
Aujourd’hui, ça fait beaucoup : l’amitié pour Alain Soral, le “FN qu’il défend tout le temps”… D’accord avec Ménard sur l’idée que toutes les voix doivent pouvoir s’exprimer, Gavi observe que cette bataille n’est menée, dorénavant, que pour les plus conservateurs : “Ceux qu’il voit comme des victimes aujourd’hui sont les gens qu’on combattait.”
Et inversement. Celui qui libérait les journalistes les voit à présent comme ses ennemis. La semaine dernière, dans une conférence consacrée aux radios libres, il a expliqué que la menace qui pesait sur les médias ne tenait pas à ce que Sarkozy nomme les patrons des chaînes publiques, ou ait des amis dans les grands groupes média, mais les journalistes eux-mêmes, leur bien-pensance, leur autocensure.
“Un jour, je lui ai dit : ‘j’ai l’impression que tu détestes les journalistes sauf quand ils sont pourris’”, raconte Philippe Gavi, en référence à PPDA et Péan.
Sur ce terrain-là, Ménard assure encore ne pas avoir changé. “Reporters sans frontières s’est fait contre la presse française.” Il s’en prend à Rue89, “site de merde fait par des journalistes de merde”, Joffrin, qui “habite dans mon quartier”, et “Libération, Télérama, tous ces gardiens du temple…” On s’étonne de ne pas en être. “Allez, je rajoute Les Inrockuptibles, sinon ce serait démago.” Et Ménard n’est pas démago.
Guillemette Faure
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