L’art ultracontemporain de Xavier Veilhan s’offre un dialogue faste avec l’art officiel et royal de Versailles. Pari risqué et gagné.
La première leçon de l’événement Veilhan Versailles, c’est de voir comment l’image la plus communiquée et la plus communiquante du projet, la plus “storytelling”, à savoir ce carrosse violet saisi en pleine course dans la grande cour du château, ne sera pas celle que l’on retiendra de notre visite. Car ramené à l’échelle du château quand il était “survendu” dans les images virtuelles qui l’avaient précédé, le carrosse emblématique est plus décevant que furtif, et comme déjà usé par sa dissémination à travers journaux et magazines.
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Mais la seconde leçon, et vraie surprise, c’est qu’à l’inverse l’oeuvre la moins engageante sur le papier, à savoir ces neuf statues d’architectes du XXe siècle installées dans le jardin, s’avère dans les faits la plus majestueuse de toutes. Parce qu’avec cette idée-force qui consiste à célébrer des architectes vivants dans les jardins de Le Nôtre, Xavier Veilhan dialogue avec Versailles en se plaçant sur le terrain de la sculpture d’éloge, de la statuaire royale, autant dire de l’art officiel. Et ce avec le plus grand sérieux du monde, et non pas sur cet air moqueur, mais aussi salvateur, de Jeff Koons l’an dernier.
Il y a là du courage, de la force et du péril, car on aurait vite fait de tomber dans l’académisme, dans un nouvel art pompier, au risque d’apparaître comme l’artiste officiel d’une République française qui aime tant se donner des airs de monarchie. Veilhan n’avait d’ailleurs pas hésité dans le passé à donner sa version extrêmement stylisée de la garde républicaine, revisitant du même coup le genre usé de la statue équestre. Et de même il a toujours regardé avec une acuité extrême les peintres et sculpteurs pompiers du XIXe siècle, les académiciens de l’Ecole de Rome, et jusqu’aux manifestations officielles des régimes soviétique ou fascistes. Mais s’il parvient ici à revisiter le grand genre de l’art officiel, c’est parce qu’il le fait en douceur, sans provocation, avec la modestie d’un ingénieur civil. De fait, sa série des architectes est à la fois majestueuse et légère, notamment en raison de ces socles ouverts qui laissent passer le paysage. Installés comme de guingois sur une ligne sinueuse, les uns dans le parc, les autres dans les bassins. Quant aux personnages scannés puis statufiés des architectes (Norman Foster, Renzo Piano, Richard Rogers, Jean Nouvel, Lacaton & Vassal, etc.), les uns sont dûment réalistes, mais les autres aussi plus abstraits, comme pixellisés.
Et puis il y a le jeu sur les échelles : devant les appartements du Dauphin, l’artiste a ainsi posé une sculpture étrange, poétique et démesurée de Youri Gagarine couché à même le sol – hommage au premier homme qui a vu la Terre depuis l’espace, héros planétaire gisant dans le décorum du Roi-Soleil. Varietas, moderatio, et grâce – sous le regard des statues qui font la frise tout le long du château, on se dit que Veilhan touche quasiment à son but : produire les nouveaux canons d’un classicisme ultracontemporain.
Jusqu’au 13 décembre au château de Versailles /// www.chateauversaillesspectacles.fr
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