A 42 ans, Xavier Niel, le fondateur de Free vient d’être élu manager de l’année. Un patron d’un nouveau genre qui a commencé avec le minitel rose et ne travaille que par mail.
« Je ne vous connais pas, donc j’ai mis un beau pantalon et des belles chaussures, sinon je suis en jean. Mais quand même, je n’ai pas eu le courage de me raser”, plaisante Xavier Niel. Fondateur et copropriétaire à 65 % d’Iliad-Free, le voilà détenteur annoncé de la quatrième licence de téléphonie mobile en France (selon une information révélée par Le Figaro, Free devrait recevoir son autorisation le 17 décembre prochain).
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La poignée de main est aussi molle que chaleureuse, l’interview se passe dans une salle de réunion du rez-de-chaussée. Il nous indique un large canapé qui doit bien fêter ses dix ans. Xavier Niel pose son BlackBerry quelques instants pour s’installer sur une chaise. “Je traite plusieurs centaines de mails par jour avec ça. Vous allez voir, en un peu moins d’une heure il y en a à peu près 200 qui vont tomber.”
Xavier Niel est aujourd’hui, avec 2,68 milliards d’euros, classé au douzième rang des plus grosses fortunes françaises par le magazine Challenges en 2009, devant Vincent Bolloré ou Martin Bouygues. Après des études de maths sup/maths spé qu’il abandonne en 1984, Xavier Niel invente les premiers services de minitel rose en 1984. En 1991, il fonde Iliad ; en 1994, il lance Worldnet, premier fournisseur d’accès à internet (FAI) grand public en France, qu’il revend en 2000 pour 40 millions d’euros. Inventeur du fameux 3617 Annu (l’annuaire à l’envers), Xavier Niel est aussi à l’origine du concept de “box” internet qui fait fureur aujourd’hui. Il est l’auteur, avec Dominique Roux, d’un “Que sais-je ?”, Les 100 Mots de l’internet (PUF) en 2008. Il explique qu’il est né dans un milieu défavorisé du côté de Créteil, mais qu’il n’aime pas dire ça parce que le mot “défavorisé” a fait une fois pleurer sa mère.
A 42 ans, Xavier Niel est l’un des maîtres de l’internet français et rêve aujourd’hui de venir concurrencer le trio Bouygues, Orange, SFR sur la téléphonie mobile. Un pari compliqué mais Niel y croit, lui qui s’est propulsé avec Free à la deuxième place des FAI et qui, depuis le rachat d’Alice en 2008, fournit près de 25 % des 18 millions d’abonnés à l’ADSL. “On a réussi à bousculer le marché du téléphone fixe, je me dis pourquoi pas celui du portable”, explique-t-il en lissant les cheveux qui lui tombent dans le cou.
Celui que Sarkozy traite de gaucho parce qu’il finance la presse d’opinion en ligne (Mediapart et Bakchich entre autres) a choqué par ses déclarations à l’hebdomadaire britannique The Economist en pleine guerre française des télécoms : “Si je me suicide ou si je meurs dans un accident de voiture dans les trois prochains mois, vous verrez que les menaces étaient sérieuses, parce que je ne suis pas du tout suicidaire et que je conduis très lentement.” Xavier Niel affirme qu’il fallait voir de l’humour dans cette déclaration. Mais il s’étonne néanmoins des piques récurrentes que lui envoie l’Elysée. En septembre dernier, Nicolas Sarkozy s’est dit “réservé” sur le choix d’un quatrième opérateur, précisant que le “prix bas n’est pas forcément le meilleur”, coup de bottine directement adressé à Free.
Niel, le jeune patron qui fait peur ? Il dément : “J’ai juste envie de lutter contre les grands monopoles, ce qui ne plaît pas toujours. D’un point de vue purement capitalistique, cette situation n’a pas de sens. Je pense aussi qu’on peut aller plus loin dans la démocratisation de la téléphonie mobile, c’est ça mon objectif.”
Provocateur ? Il s’est retrouvé au centre de la fameuse “affaire de Filippis” en novembre 2008 : c’est en effet à la suite d’une plainte déposée par Niel contre Libé que Vittorio de Filipis, ancien pdg du journal, avait été menotté et embarqué sans ménagement au commissariat, à 6 h 40 du matin. Niel n’y est pour rien, mais l’histoire a suffi pour faire apparaître son nom.
Il reconnaît aujourd’hui avoir peut-être fait une “connerie” en portant plainte – la justice lui a depuis donné tort, jugeant les articles de bonne foi –, mais estime avoir été touché sur un sujet sensible. Niel reprochait à Renaud Lecadre, journaliste à Libération, de revenir systématiquement sur ses démêlés judiciaires dans ses papiers : en octobre 2006, Niel a effectivement été condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et à 250 000 euros d’amende pour “recel d’abus de biens sociaux”.
L’affaire, qui n’avait aucun rapport avec Free ou Iliad, datait de 2001 à 2004 et concernait des sommes (environ 5 000 euros par mois en liquide) tirées de revenus non déclarés de sex-shops. L’homme d’affaires fait alors un mois de détention provisoire pour “proxénétisme aggravé” et “recel d’abus de bien sociaux”, donc. En août 2005, le juge d’instruction Van Ruymbeke rend une ordonnance de non-lieu en sa faveur pour les accusations de proxénétisme.
Xavier Niel sourit lorsqu’on le compare à Larry Flint – le fondateur du magazine olé olé Hustler, devenu le champion de la liberté d’expression aux Etats-Unis – et raconte qu’il a un jour assisté à l’une de ses conférences. Richard Branson, le fondateur de Virgin, ça lui plaît. Trigano (Club Med) et Ricard aussi, il aime bien, même s’il ne donnera jamais son propre nom à sa boîte. Steve Jobs, le grand patron d’Apple : “C’est un type qui a une gestion très dure. Mais son mode de recrutement me va : jeune, brillant, on se moque des diplômes (chez Iliad-Free, la moyenne d’âge est de 28 ans – ndlr).”
Xaviel Niel partage son bureau avec ses collaborateurs, travaille essentiellement par mail. “Quand je trouve les six salles de réunion du bâtiment occupées, ça me déprime. J’y vois une perte de productivité. Le mail, c’est pratique, ça laisse une trace. Mais je suis conscient de la violence qu’implique ce nouveau mode de travail.”
L’échec ? Il ne l’a quasiment jamais vécu. Il se souvient du plan de départs volontaires après le rachat d’Alice en 2008. Du moment où l’on rentre dans les détails : le nombre d’enfants, l’âge. Ce genre de choses lui donne envie de faire l’autruche et il admet avec honnêteté n’avoir aucun courage face à ça, explique que ce sont des situations où l’on a envie de ne rien voir. Ses inquiétudes ? “Le consensus. Il y a vingt ans je dormais sur la moquette, j’avais la dalle. J’ai l’impression d’être un peu plus consensuel aujourd’hui. Mais je n’ai pas l’intention que ça dure”, conclut Xavier Niel – qui vient aussi de racheter le catalogue de Claude François – en récupérant son BlackBerry. “266 messages, je vous l’avais dit.”
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