Alors que des rumeurs semblent situer de Ligonnès en Corse, retour sur les enquêtes 2.0 qui entourent l’homme le plus recherché de France.
21 avril 2011. Agnès Dupont de Ligonnès et ses quatre enfants sont retrouvés assassinés, planqués sous des décombres dans le jardin de la maison familiale à Nantes. Xavier, le père, est introuvable. Un mandat d’arrêt international est alors lancé contre celui qui décroche de facto le statut de fugitif le plus recherché de France. Fascinés par ce crime hors-norme, des centaines d’internautes français s’improvisent cyber-enquêteurs et prennent un plaisir indicible à remonter chaque trace numérique infime laissée par Agnès et Xavier. Ils s’organisent alors en groupe grâce à la fonction du même nom offerte par Facebook. Des semaines durant, ils se relaient jour et nuit, déterrent des photos inédites de la famille, traquent les amis supposés du couple et dévoilent au grand jour les doutes sexuels d’Agnès sur Doctissimo, sans omettre de relayer les questionnements théologiques distillés par son mari sur Cité Catholique, un forum catholique comme son nom l’indique.
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De manière unanime, quand on les interroge, ces drôles de cyber-enquêteurs confessent alors tous un intérêt très fort pour l’émission « Faîtes entrer l’accusé » présentée par Christophe Hondelatte, et sans le savoir pour la plupart, se livrent à une chasse à l’homme numérique, phénomène déjà largement répandu sur certaines plateformes en Chine ou aux États-Unis. Si les motivations des uns et des autres diffèrent, la très grande majorité d’entre eux ont par contre recours à l’utilisation systématique de compte fake dans leur curieuse quête, généralement par peur de subir l’opprobre de leur entourage familial ou professionnel.
À l’occasion des hypothèses récentes sur la possibilité que Xavier Dupont de Ligonnès soit planqué en Corse, nous nous sommes entretenus avec Chris la Vérité, créateur du groupe Facebook « Xavier Dupont de Ligonnès : Enquête et Débat », incontestablement celui qui a attiré le plus de monde à l’époque et a fournit le plus de révélations à la presse qui se délectait des trouvailles quotidiennes émaillant la vie du groupe. Et à notre grande surprise, celui qui a souvent été présenté à tort comme un hackeur à l’époque n’a pas cessé ses recherches une fois le feu médiatique éteint. Chris la Vérité – là aussi un pseudo – a même reçu des soutiens de premier ordre provenant de la police et même de la famille d’Agnès.
– Je crois savoir que vous avez continué votre enquête dans un groupe privé jusqu’en août 2011. Comment votre travail s’organisait-il du coup ? Combien étiez-vous ? Quels étaient les critères pour intégrer le groupe ?
Nous étions une quarantaine, issus de ma page et de l’ancien groupe Xavier Dupont de Ligonnès. L’idée au départ – fin mai donc – était de réunir uniquement des intervenants de qualité parce que c’était un peu parti en live sur les pages publiques. Entre les contributeurs fantaisistes et ceux qui – outrés par ma démarche – me harcelaient pour que je ferme ma page, c’était devenu ingérable. J’ai préféré mettre ma page en veilleuse pendant un mois et demi et me consacrer uniquement aux discussions privées. L’intégration se faisait par cooptation, et/ou sur proposition d’un membre avant soumission aux votes de l’ensemble des membres. Une charte a été mise en place fin juin 2011. Décliner son identité réelle était au bout de quelques mois indispensable pour intégrer le groupe.
– À quel moment et pour quelles raisons les membres de la famille d’Agnès et un enquêteur de l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC) vous ont-ils rejoint ?
Des proches d’Agnès et Xavier étaient présent dès avril 2011 sur ma page. D’abord de façon anonyme puis à découvert après trois mois dans le groupe privé. On leur doit beaucoup d’informations sur la vie de Xavier Dupont de Ligonnès, son histoire, son entourage. Plus tard on a aussi eu une amie des enfants qui est venue d’elle-même. Je dirais que ma page publique a fait office de « vitrine » ou de « porte d’entrée » pour un groupe plus sélectif. Concernant l’enquêteur de l’OCLCTIC, il est venu suite à la découverte de nouvelles traces numériques d’Agnès fin juin 2011 par une internaute (ici et là). Elle l’a directement contacté et c’est comme ça qu’on a gagné sa confiance. Il a alors souhaité nous rejoindre, ainsi que le modérateur du forum cité-catholique par la même occasion, puisqu’ils bossaient ensemble.
– La police s’est-elle de façon générale toujours intéressée à vos travaux et recherches voire s’est-elle même appuyée dessus ?
Je ne sais pas si cela va répondre à votre question mais je sais qu’en mai 2011, un enquêteur a été chargé de surveiller ma page… J’imagine que ce n’est plus le cas aujourd’hui, d’autant plus que l’OCLCTIC a été déchargée de l’affaire il y a six mois. Sinon je pense que toutes les traces numériques qu’on a trouvées doivent maintenant faire partie du dossier puisqu’elles ont été authentifiées. En tout cas le procureur les a jugé « utiles » pour l’enquête de personnalité. Par la suite ils ont passé pas mal de temps à décortiquer les logs de Xavier Dupont de Ligonnès sur le forum cité-catholique puisqu’il se connectait tous les jours suivants le massacre en tant que simple lecteur, et ce jusqu’au 14 avril au soir. Donc oui, je pense qu’on leur a fourni pas mal de matière avec ces traces numériques postérieures aux meurtres.
– Y a t-il eu une raison qui vous a poussé à arrêter votre travail en août 2011 ?
C’est à cette date que le groupe a commencé à s’éteindre, que des membres ont lâché, et que plus aucune information importante n’en est sortie.
– Et comment procédiez-vous pour récupérer vos informations et vos documents ?
Au début on stalkait. Il y a eu un peu de hacking aussi. On a trouvé plein de petites choses et puis ensuite ça a été donnant-donnant dans une sorte de triptyque internautes-famille-enquêteurs. Comme notre contact enquêteur n’avait pas accès à l’intégralité du dossier, il a été ravi qu’on lui transmette certains documents et comptes-rendus sur Xavier Dupont de Ligonnès et sur son entourage, qui provenaient de la famille. Du coup il nous a transmis dès le mois de juillet 2011 les fameuses « notes secrètes » que Dupont de Ligonnès avait stockées sur ses serveurs, ainsi que plein d’autres informations qui ont toutes fini par se retrouver dans Le Parisien.
– Dans Le Parisien ?
Je ne sais pas ce qui s’est passé, il y a sans doute un membre qui a parlé alors que tout le monde devait garder le silence. En tout cas tous les articles ci-dessous sont signés du même journaliste et relatent des infos que nous possédions déjà depuis juillet 2011.
Dupont de Ligonnès : la thèse d’une cavale se renforce
Les indices qui accréditent cette version
Les troublantes lectures du père de famille
Affaire Dupont de Ligonnès : de nouveaux éléments troublants
Xavier de Ligonnès a contacté au moins quatre anciennes amies avant les meurtres
Les notes secrètes de Xavier Dupont de Ligonnès
Je sais que le parquet de Nantes a ouvert une enquête concernant ces fuites et qu’une ex-maitresse de Dupont de Ligonnès a porté plainte contre le journaliste en question.
– Avez-vous eu le sentiment que votre démarche se professionnalisait de plus en plus au fur et à mesure, par rapport aux premières recherches des jours ayant succédé la disparition de Dupont de Ligonnès ?
Oui il est clair que c’est devenu beaucoup plus sérieux dès lors qu’on a démontré notre utilité et que la page a été médiatisée. Certains considèrent d’ailleurs que ma page est devenu un média à part entière. Ceci dit, je crois que la totale professionnalisation est encore loin, d’une part parce que Facebook est un réseau beaucoup trop mainstream pour être crédible – j’aurais essuyé bien moins de critiques si je n’avais utilisé que Twitter – et d’autre part parce qu’il n’y a aucun business-model derrière tout ça.
– Et du coup, est-ce que les différents signalements, comme avec cette apparition supposée en Corse, ont-elles tendance à relancer vos recherches et votre intérêt pour l’affaire ?
Pas vraiment pour ma part. C’est plutôt lorsque des proches s’expriment dans les médias, via leur blog ou que de nouvelles informations ou documents sortent, que ça m’intéresse.
– Et dernière chose, qu’est-ce qui vous fait dire que c’est léger pour la Corse, et inversement, est-ce que certaines pistes vous ont parues très sérieuses et pourquoi ?
Ça me semble assez léger puisque le procureur a lui-même immédiatement démenti. Peu de signalements m’ont parus sérieux mais si un jour on apprend qu’il aurait été aperçu dans un monastère ou au sein d’une communauté religieuse, là je serais tenté d’y croire. La piste religieuse est prise très au sérieux par les rares enquêteurs qui croient que Xavier Dupont de Ligonnès est encore vivant.
Texte et propos recueillis par Loïc H. Rechi
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