En Haïti, les listes des candidatures à l’élection présidentielle du 28 novembre prochain sont closes depuis dimanche matin. Officiellement, 34 candidats se sont inscrits. Parmi eux, un chanteur de renom : Wyclef Jean.
Le 5 août dernier, le rappeur quitte les Etats-Unis (où il réside) pour se rendre sur l’île afin de notifier sa candidature au bureau du conseil électoral. A l’aise dans les rues bondées de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, le tout nouveau candidat a pu tester sa cote de popularité. Assailli par des bataillons de supporters arborant fièrement le tee-shirt, reprenant son slogan, «Fas a Fas», Wyclef s’est rapidement mué en tribun : « Les Etats-Unis ont Obama et Haïti a Wyclef« , a-t-il lâché.
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Du rappeur américain à l’homme politique haïtien
Avant de s’afficher devant les médias du monde entier comme un candidat politique bon teint avec son costume propret et sa barbe finement rasée, Wyclef a vécu plusieurs vies.
Né Wyclef Jeannelle Jean le 17 octobre 1972 à Croix-des-Bouquets en Haïti, le rappeur a une enfance créole jusqu’à ses neuf ans, lorsqu’il émigre aux Etats-Unis avec sa famille. Débarqué à Brooklyn, New York, le jeune Wyclef traine en bas des blocks, se laisse pousser la barbiche et s’essaye à la musique. En 1994, il forme avec deux amis, Pras Michel et Lauryn Hill, le groupe The Translators, rapidement rebaptisé The Fugees. Sous cette casquette, Wyclef enregistre The Score, un album sorti en 1996 et vendu à près de 18 millions d’exemplaires. Le disque est boosté notamment par le tube Ready or not. Dans le clip, on découvre un Wyclef grimé en guérillero :
Démarrant une carrière solo à la fin des années 90, Wyclef se présente sous les traits d’un bon roots des Caraïbes avec ses dreads. De 1997 à 2009, le chanteur sort sept albums solos. Peu à peu, Wyclef semble se rapprocher de son identité haïtienne : en 1997, il chante en créole sur le titre Yélé :
Au cours de sa carrière solo, on entendra plusieurs fois l’artiste chanter dans sa langue maternelle ou encore en français, la deuxième langue d’Haïti. Wyclef s’affiche désormais plus en fils de Croix-des-bouquets qu’en gosse de Brooklyn. Signe ultime de cette reconversion : en 2009, il prend comme nom de scène « Toussaint Saint-Jean », en référence à Toussaint Louverture, père de l’indépendance haïtienne.
En 2005, Wyclef Jean décide de créer une association humanitaire pour Haïti. L’ONG Yélé a pour but d’aider les habitants des Gonaïves, une ville décimée par une tempête tropicale. En 2007, le chanteur est nommé « ambassadeur de bonne volonté » du pays.
C’est à l’occasion du tremblement de terre qui a rasé une partie d’Haïti, le 13 janvier dernier, que Wyclef s’affirme en poids lourd de la scène politique locale. Profitant de sa notoriété internationale, le chanteur multiplie les apparences télévisées pour alerter l’opinion sur le triste sort du pays. Wyclef s’impose comme le seul porte-parole médiatique des haïtiens. De là à l’imaginer en candidat à la présidentielle, il n’y a qu’un pas. Le 2 août dernier, quelques jours avant l’annonce de sa candidature, Wyclef déclarait au Time:
« En tant que citoyen haïtien, si je reste là à regarder ce pays s’effondrer alors que je suis allé sur place ramasser des corps, des corps d’enfants, je ne pourrai plus dormir la nuit. »
Des accusations de malversation
Les détracteurs de Wyclef Jean n’ont pas attendu sa candidature pour lui lancer une première banderille. Alors qu’il s’affiche aux yeux de tous en train de participer à l’opération humanitaire en Haïti en janvier dernier, le chanteur est accusé d’être à l’origine de détournements de fonds au sein de son association Yélé. Le site The Smoking Gun publie une information selon laquelle Wyclef aurait détourné près de 410 000 dollars. Pour étayer cette accusation, le site américain s’appuie sur un document du fisc américain qui détaille les transferts d’argents effectués par la fondation de Wyclef.
A la lecture de ce document, on apprend que Yélé aurait loué les locaux d’un studio d’enregistrements new yorkais pour 25 mois entre 2006 et 2007 pour un montant total de 65 000 dollars. Un studio d’enregistrement dont le propriétaire est…Wyclef Jean. On apprend également qu’en 2006, l’association aurait payé près de 100 000 dollars au chanteur pour une « performance musicale » lors d’un concert. Autre addition, un paiement de 250 000 pour une société haïtienne du nom de Telemax S.A. pour « des achats d’espaces publicitaires et de services de production« . Telemax, une société détenue en partie par Wyclef Jean. Dernier élément détaillé par le document : la Fondation Wyclef, qui chapeaute Yélé, n’aurait commencé à déclarer les dons qui lui sont envoyés qu’en 2009, soit douze ans après sa création.
« Je n’ai jamais touché d’argent de la part de Yélé« , s’est empressé de réagir Wyclef dans une vidéo. Le chanteur s’est dit « dégoûté » par ces allégations. Le chanteur a malgré tout confessé quelques largesses dans la comptabilité de Yélé.
Loin d’arrêter son inquisition, le site The Smoking Gun récidive le 2 août dernier en accusant Wyclef cette fois de devoir près de 2,1 millions de dollars au fisc. Et comme le rappelle ironiquement le site, « le prochain président haïtien aura notamment à charge la gestion des dons de la communauté internationale ainsi que celle des ressources financière – même si elles sont limitées – du pays« .
Wyclef Jean n’a pas encore réagit à ces accusations.
Une candidature controversée
Aujourd’hui, la candidature de Wyclef Jean fait frémir plusieurs personnalités. Entre autres, l’acteur Sean Penn, qui s’est fendu, sur CNN,d’une déclaration plutôt salée à l’encontre du nouveau candidat :
« Je veux quelqu’un qui veuille vraiment se sacrifier pour son pays et pas juste quelqu’un que j’ai vu personnellement dans un convoi de voiture de luxe, exhibant une richesse qui me semble déplacée en Haïti. »
Des commentaires jugés « hors propos » par l’entourage de Wyclef Jean.
Autre personnalité refusant de soutenir Wyclef, Pras Michel, l’ancien comparse des Fugees. « Michel Martelly président en 2010 ! (…) Sean Penn comprend vraiment ce qui se passe et ce dont Haïti a besoin », écrit sur Twitter celui qui est également d’origine haïtienne.
Mais la palme de la critique la plus aiguisée revient à Richard Morse, célèbre chanteur haïtien, pour qui Wyclef Jean pourrait bien se révéler être une marionnette aux mains des Etats-Unis. Acerbe, Morse résume la situation de manière assez originale :
« Si Sean Penn peut être le maire d’une ville en Haïti ; si Bill Clinton peut être le coprésident de la reconstruction, alors Wyclef peut bien être le Président. »
En filigranes de ces déclarations pointe une critique à l’encontre de Wyclef résumée par le professeur d’Histoire à l’Université publique d’Haïti Pierre Buteau :
« Programme : il n’en a pas et ne sait pas comment interpeller l’électorat. Solution : il n’a pas dit comment sortir Haïti de sa situation de crise. »
Pour l’instant, le chanteur s’est contenté d’indiquer les quatre piliers sur lesquels reposerait sa politique pour le pays : l’éducation, la création d’emploi, l’agriculture et la sécurité.
Chez les politiques aussi, cette candidature irrite. Pour Serges Gilles, leader de Fusion, une formation de gauche, Wyclef n’a pas sa place dans cette élection: « Je suis préoccupé. On est en train de mélanger deux choses : la politique et l’art. Cela peut donner des résultats négatifs. »
Pour pouvoir briguer officiellement la présidence haïtienne, il faut se conformer aux critères édictés par la Constitution de 1987. Deux points pourraient jouer en sa défaveur : le fait qu’il ne réside pas en Haïti pendant les cinq ans qui précèdent l’élection (le chanteur réside aux Etats-Unis) et le fait qu’il ait la double nationalité.
Une candidature populaire auprès des Haïtiens
Une chose est sûre, la candidature du chanteur semble plaire à la rue haïtienne. Un constat confirmé par l’écrivain Lyonel Trouillot, originaire de l’île. Selon lui, les ambitions de Wyclef témoignent « de l’échec des classes dirigeantes d’Haïti qui n’ont aucun pouvoir (…). Il y a un vide politique. Wyclef est le plus populaire. »
Le bureau du conseil électoral devrait publier la liste définitive des candidats le 17 août prochain.
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